8 SCIENCES LA VIE SCIENTIFIQUE Des révélations partielles du Pentagone Les bombardements extraterrestres longtemps classés << Secret défense » Avec son dispositif de surveillance, avant même celui dit de « guerre des étoiles », Washington a pu déceler l'impact de grosses météorites dans l'atmosphère. C'est l'énergie de plusieurs bombes atomiques qui s'est dissipée en altitude depuis une vingtaine d'années. L'espace est un vaste champ de tir, et la Terre peut en être la cible. Les rafales de météorites de toutes tailles crachées par la mitrailleuse lourde céleste font parfois mouche. Et, lorsque le projec- tile est assez gros, il provoque dans notre haute atmosphère un feu d'artifice dont les lueurs, pour brèves qu'elles soient, sont plus proches de celles d'explosions atomiques que de celles des pétards du 14-Juillet. C'est ce que révè- lent des documents militaires américains ultrasecrets qui, bien que très discrètement dé- classés, n'ont pas échappé à la vigilance du mensuel Sky & Telescope, qui en rend compte dans son numéro de février. En une vingtaine d'années, depuis 1975, les satellites se- crets américains du départe- ment de la Défense ont ainsi vu 136 impacts de météorites, certaines de plusieurs mètres de diamètre, dans notre haute atmosphère. Conçues dans le cadre de I'« initiative de défense straté- gique »(IDS), il faut croire que ces sentinelles avancées du dispositif américain, satellites d'alerte rapide du Programme de soutien de défense, s'en- nuyaient ferme sur leur orbite géosynchrone, à 38 000 km d'altitude. Pas la moindre pe- tite lueur de missiles à mettre sous la dent de leurs détec- teurs ultrasophistiqués et ultra- sensibles. Pour tuer le temps, quoi de mieux, alors, que d'ob- server et de répertorier les ex- plosions à haute altitude des projectiles issus de la canon- nade cosmique ? Car les flashes de lumière, brefs, mais intenses, provoqués par la désintégration d'objets cé- lestes voyageurs dans les couches supérieures d'air cor- respondent exactement aux si- gnaux qu'ils sont chargés de détecter, même en plein soleil. Trois monstres Les experts en dehors de toute information officielle, car la provenance des documents déclassés reste « top se- cret » estiment que ces équi- pements opèrent dans l'infra- rouge, à une longueur d'onde très spécifique. Le porte-parole du Pentagone, Kathleen De Laski, sans démentir, a in- diqué ne pas être au courant de l'affaire. Ce n'est pas la première fois que des enregistrements issus d'instruments de sur- veillance militaires ou des ser- vices secrets, une fois rendus publics, apportent des informa- tions sur les bombardements. météoritiques. Ainsi, il y a quelques années, les données recueillies entre 1960 et 1974 par un réseau de détecteurs dont certains étaient placés sur les toits de quelques ambas- Isades américaines montraient que l'atmosphère véhiculait des bouffées d'ondes acous- tiques de basse fréquence cer- tainement créées par les ex- plosions atmosphériques de météorites. On a ainsi pu enregistrer le «bang infrasonique » d'un as- téroïde, sans doute d'une La fréquence des bolides capables de laisser un tel cratère au sol est heureusement faible: pas plus d'un tous les 100 000 ans. (Photo Blair/Woodfin.) 20 000 tonnes par an En 4 milliards d'années, la grêle de mé- téorites et de micrométéorites a déposé l'équivalent d'une couche de 20 cm de ma- tière sur tout le globe, soit un peu plus de 20 000 tonnes par an (1). On estime que 30 000 météorites de plus de 100 g frappent annuellement la Terre. Tous les 100 ans, une de 10 m s'y écrase; tous les 10 000 ans, une de 100 m; tous les 100 000 ans, une de 1 km et tous les 20 millions à 40 millions d'années, une de 20 km à 40 km, capable de déclencher une catastrophe planétaire annihi- lant une bonne partie des espèces vivantes. Ces objets ont une vitesse comprise entre 11 km/s et 72 km/s. Une fusée doit atteindre les 11,2 km/s pour se libérer de la gravitation terrestre. Un bolide de 10 m arrivant à 15 km/s provoque une explosion équivalant à celle de la bombe d'Hiroshima (30 000 tonnes de dynamite). Avec 100 m de diamètre, c'est l'énergie de mille bombes (30 mégatonnes, soit 30 millions de tonnes de TNT) qui est li- bérée. J.-L. N. (1) Chasseurs d'étoiles, Michel Maurette, Hachette-La Villette. vingtaine de mètres de dia- mètre, qui serait tombé le 3 août 1963 entre l'Afrique du .Sud et l'Antarctique, entre océans Pacifique et Atlan- tique. Sa combustion dans les hautes couches atmosphé- riques a dû libérer une éner- gie monstrueuse, équivalant à un demi-million de tonnes de TNT, quelque cinq cents fois plus importante que celle de la bombe atomique d'Hiro- shima. Guerre du Golfe Une déflagration qui est pourtant loin d'atteindre les sommets de dévastation que peuvent libérer les bolides ve- nus des profondeurs de l'Uni- vers. Ainsi, celle qui, le 30 juin 1908, au-dessus de la Sibérie, détruisit les forêts sur plusieurs milliers de kilomètres carrés, couchant des dizaines de mil- liers d'arbres comme autant d'allumettes, et qui libéra l'équivalent TNT de 10 à 20 mégatonnes (millions de tonnes). Cette météorite de la Tougounska a, selon des cal- culs récents, explosé à environ 10 kilomètres d'altitude. Com- posée principalement de pierre, son diamètre devait être d'environ 30 mètres, son poids d'environ un millier de tonnes, et elle s'est jetée sur la Terre à la vitesse hypersonique de 15 km/s (54 000 km/h). Son angle d'arrivée par rapport au sol devait être compris entre 30° et 45°, et la température des gaz atmosphériques Idé 4 octobre 1991 SAMEDI 29 DIMANCHE 30 JANVIER 1994 15 avril 1988 1er octobre 1990 Sur la carte mondiale du bombardement cosmique, les trois principaux impacts dûment datés. chauffés par le bolide a dû at- teindre 25 000 °C. La météo- rite, de basse densité, s'est fragmentée en microscopiques morceaux, et c'est le souffle de l'explosion qui a provoqué les dégâts au sol. Les 136 météorites dont les impacts aériens ont été identi- fiés et localisés par les satel- lites de surveillance américains étaient, bien sûr, moins grosses. De plus, leur nature a priori pierreuse et non métal- lique fait que le bouclier atmo- sphérique les a proprement désintégrées, aucun fragment d'importance ne parvenant au sol. Le flash résultant est prati- quement indécelable depuis la surface du globe, en raison de l'altitude à laquelle il se pro- duit. Leur énergie moyenne a été estimée à 1 000 tonnes équivalent TNT. Trois d'entre elles excé- daient largement cette énergie. La première a été repérée au dessus de l'Indonésie le 15 avril 1988, et sa combustion (au moins 5 000 tonnes équi- valents TNT) a allumé sur la voûte céleste, pendant une se- conde, un point aussi lumineux que le soleil. La deuxième s'est transfor- mée en lumière (2 000 tonnes équivalent TNT) le 1 octobre 1990 au nord de l'Australie, au-dessus de l'Océan. « C'était alors en pleine guerre du Golfe, se souvient Simon Worden, astronome, qui diri- geait alors un département de la Balistic Missile Defense Or- ganization (un groupe de la guerre des étoiles »). Si elle avait explosé au-dessus du Koweït, cela aurait créé une si- tuation difficile. Nous, nous pouvions dire qu'elle était d'ori- gine naturelle, mais eux, ils ne le pouvaient pas. » D'après Sky & Telescope, le mérite de la déclassification de ces don- nées revient en grande partie à Simon Worden. La troisième grosse météo- rite s'est désintégrée le 4 oc- tobre 1991 au-dessus de l'Arc- tique. Les 136 explosions atmo- sphériques observées depuis 1975, soit une moyenne de huit par an, ne représentent, pour les spécialistes, qu'une petite partie de celles qui se produisent. Ils estiment que, pour un événement détecté, les satellites en ont ignoré quatre. La Terre serait donc ébranlée chaque année par des chocs avec des météorites donc l'énergie cinétique cumu- lée atteindrait l'équivalent de 80 000 tonnes de TNT. Pour préciser ces données et quan- tifier exactement le danger de ces explosions atmosphé- riques de météorites, les astro- nomes espèrent que les outils inégalés du monde du rensei- gnement pourront à l'avenir travailler plus étroitement avec les équipes civiles. Un vœu qui a de bonnes chances d'être entendu, de nombreux labora- toires de recherche militaires cherchant, comme en Russie, et toutes proportions gardées, à se recycler dans le civil après les coupes claires effec- tuées dans leur budget. Jean-Luc NOTHIAS