Franck Fontaine ravit la Une » à Khomeiny LEST PUBLICAIN ds 05.179 La nouvelle étoile de Cergy-Pontoise Frank Fontaine, le jeune homme au blouson de cuir marron, n'a pas été inculpé d'outrage à magistrat après sa réapparition sur notre planète. Victoire pour les petits hommes verts qu'il est convenu de voir aux commandes des OVNI? Pas si sûr. Il était une fois... trois grands garçons de Cergy-Pontoise, la cité en pleine croissance industrielle où le gigantisme s'installe et donne ses pers- pectives en pâture aux imagi- nations délirantes. Le plus jeune avait dix-neuf ans: Frank Fontaine. Ses deux copains étaient ses aînés de six ans: Jean-Pierre Prévot et Salomon N'Daye. Tous trois, dans la voiture du premier, s'étaient mis en route pour Gisors, le 26 décembre dernier au tout petit matin. Et à 4 h 30, dans le quartier de la Justice- Mauve, l'automobile fut assiégée par un halo et encer- clée par quatre sphères qui s'étaient assurées la compli- cité d'une nappe de brouil- lard. La chose était si curieuse que les deux passagers s'éclipsèrent avec l'intention de ramener un appareil pho- tographique. Ce qu'ils firent, paraît-il, pour constater que Franck Fontaine n'était plus là et que le halo s'éloignait à basse altitude. Convaincus que leur ami avait été enlevé par des extra-terrestres, Prévot et N'Daye tentèrent aussitôt de faire partager leur conviction aux gendarmes. Ces derniers menèrent leur enquête à par- tir de trois hypothèses: l'as- sassinat, la fugue ou le canular. La première vient . heu- reusement d'être infirmée par la réapparition de la victime, après huit jours d'éclipse, dans le quartier et à l'heure nocturne où elle avait disparu. S'ils s'étaient ralliés à l'une des deux autres hypothèses, les enquêteurs et le juge n'auraient pas laissé partir Frank sans l'inculper. Le mérite de la sobriété Sans doute ont-ils peu apprécié qu'une fois réuni à nouveau, le trio, élargi à la mère et à la fiancée du rescapé, ait attendu quatre heures avant d'annoncer la bonne nouvelle. Et qu'au lieu de téléphoner aux gendarmes mobilisés depuis huit jours sur l'affaire, il se soit adressé à la rédacton de RTL, pour mettre dans le coup, en prio- rité, à l'heure du café-créme, des millions de Français. Mais l'apparente sincérité des témoignages, la concor- dance des trois récits n'a pas permis aux enquêteurs de prendre les jeunes gens en flagrant délit de contradic- tion. S'ils se sont lancés dans une combinaison relevant de la facétie, reconnaissons donc qu'elle est bien montée et que la faille reste à trouver qui permettrait d'en venir à bout. Dans cette hypothèse, le mérite du canular résiderait dans sa sobriété en feignant de n'avoir rien vu, rien appris, d'avoir sombré dans une espèce de non-existence pendant une semaine, le * héros de l'enlèvement s'épargne un exercice péril- leux, une sorte de travail pratique ès science fiction qui aurait permis à des auditeurs astucieux de démasquer la supercherie. Reste le problème des mobiles. Quel intérêt Frank Fontaine aurait-il eu de s'es- camoter pour jouer le jeune homme au bois dormant ? Les gendarmes et le juge n'ayant pas de réponse à cette question, semble-t-il, ils font profiter leur client du moins pour l'instant du bénéfice de leur perplexité. - Comme un vertige de vedettariat Le souvenir de mai 1968 est sans doute trop lointain, trop amorti, trop systématique- ment récusé par les nouvelles vagues pour qu'on puisse constituer le goût et le sens de la farce en mobile acceptable. Peut-être a-t-il été détrôné par un vertige de vedettariat qui fait tourner la tête aux petits enfants du siècle... de l'audio-visuel. Frank Fontaine s'était contenté jusqu'ici de vendre des vêtements, entre papa et maman, sur les marchés de la région parisienne. Et pour s'être gommé de la surface de la planète pendant une semaine, voici qu'il s'intro- duit, par la grande porte dans une actualité super-chargée et super-tragique, qu'il ravit la «une» à l'Iman de Téhé- ran, non seulement dans les journaux de son pays, mais dans le très sérieux «Times >> de Londres. Sans préjudice des commentaires radiopho- niques et des images télévi- sées qui doivent compter énormément pour lui. Il y a là de quoi épater la fiancée et la galerie. On suppose que les enquê- teurs chercheront à identifier sa ou ses retraites, à reconsti- tuer son emploi du temps de l'autre semaine, pour tirer l'affaire au clair. Ily aurait beaucoup à dire sur le réflexe consistant à alerter en priorité un poste de radio. Mais plus significatif encore est le retentissement d'une telle aventure sur une opinion publique pourtant saturée de sensationnel. Une épouvante de diversion Chaque âge a les phantas- mes qu'il mérite. A une humanité qui n'est pas « extra» (comme diraient nos voisins suisses) le ciel offre en pur don des « extra terres- tres de diversion, afin qu'une épouvante de paco- tille chasse l'autre, bien réelle celle-là puisque produite par la malice des temps et les soubresauts des nations en proie à la crise. " Aux époques troublées, les hommes ont toujours eu l'ha- bitude de regarder le ciel plus attentivement et d'y voir autre chose que des étoiles. On a connu l'époque des chasses fantastiques menées par le diable en personne. On a vu entre les nuages pendant la guerre de Trente Ans, les corbeaux maudits qui tenaient en leur bec une torche pour bouter l'incendie d'une ville à l'autre, plus prompts que les Suédois. Ily a eu les dragons volants sur la carapace desquels les chevro- tines s'écrasaient. Et mainte- nant la soucoupe, le disque incandescent, l'OVNI, ses pilotes et ses passagers. Les illusions d'optique prennent des formes de moins en moins poétiques. C'est à croire que nos mythes familiers se robotisent. Illu- sion, mythe: il est établi que ces étiquettes conviennent, dans quatre-vingt-quinze pour cent des cas. Demeure un petit noyau de phénomè- nes irréductibles auxquels les physiciens d'outre- Atlantique sans parler du Pentagone s'intéressent de très près. Ils ont de la compé- tence du GEPAN (groupe d'étude des phénomènes aéro-spatiaux non identifiés) que l'aventure de Franck Fontaine n'a pas le don d'émouvoir. Jean VARTIER