QUESTIONS D'ECONOMIE II - 1 N° 2 : CREDITS MUTUELS ET COLLECTIFS par J. F. Drouet Dans l'article n° 1 (1) nous avons dénoncé la confusion de langage et surtout de concept entre l'argent et la richesse. Heureusement de plus en plus de personnes en prennent conscience. Un récent "Astérix" (Obélix et Cie) en est témoin. Obélix s'y aperçoit que les sesterces ne se mangent pas plus que les menhirs et que les unes et les autres ne valent pas un bon sanglier dégusté en joyeuse et amicale compagnie. On peut y voir un reflet de l'évolution de l'ensemble de l'opinion publi- que et un signe encourageant. Car il faut bien se rendre compte que ces confusions se trouvent véhiculées et entretenues par les informations que nous recevons: conversations, journaux, radio, télé. Comme les publicités obsédantes, nous les enregistrons même et surtout à notre insu et elles s'inscrivent en structures indélibiles dans notre cerveau. Si, faute d'in- formation et de réflexion, nous ne leur opposons aucun savoir murement ré- fléchi, c'est cette opinion reçue que nous ferons nôtre, bien qu'elle n'ait d'autre valeur que d'avoir été retenue par une majorité. D'où l'importance des éléments d'information et de réflexion tels que ceux que nous pouvons apporter ici. Dans ce qui va suivre, il s'agit bien d'un manque d'information qui porte sur la nature, les mécanismes, les effets de la création monétaire et qui entraîne la méconnaissance du crédit col- lectif. La différence entre celui-ci et le crédit mutuel va être vécu dans les 2 scénarios de l'histoire d'Arnaud. Une histoire très simple. - Il y a quelques siècles, dans un petit pays du centre européen appelé Roseland, vivait dans une ferme une famille comme beaucoup d'autres. Le père dirigeait la petite exploitation, aidé depuis quelques années par ses 2 fils. L'ainé, Arnaud venait de se marier. Il se rendait bien compte que la ferme ne pouvait plus suffire à les nour- rir tous. D'ailleurs son père et son frère pouvaient en assurer à eux deux l'exploitation et il décida donc avec Isabelle, sa jeune femme, de monter un petit atelier de tissage. Il lui fallait donc acheter de la laine, un rouet pour la filer, le bois et les autres matériaux pour construire son métier à tisser. Il fallait bien penser aussi à se nourrir en attendant de vendre les premiers vête- ments de leur fabrication et trouver un emplacement pour monter l'atelier. ler scénario.- Il en parla à son père qui l'approuva tout à fait : "Je te fais confiance, de toute façon tu peux compter sur la nourriture jusqu'à ce que, en échange, tu puisses nous faire des habits et installer ton atelier dans un coin de la vieille grange". (1) Voir dans SCM .76. La lecture de cet article est indispensable à la compréhension des articles suivants. II 2 Il alla ensuite chez un cousin qui élevait des moutons et lui expliqua ce qu'il projetait. Lui aussi bien entendu accepta de lui faire crédit en lui fournissant des toisons de laine. Ils convinrent d'un certain nombre de vêtements en échange de la quantité de toisons qu'il esti- mait nécessaire. Ils marquèrent cela sur un papier afin de s'en souve- nir. Enfin, il alla voir Thibaud le menuisier du village qui fabriquait des rouets et pouvait lui fournir tous les matériaux nécessaires à la cons- truction du métier à tisser. Avec lui aussi, il se mit d'accord, mais Thibaud préféra, plutôt qu'être payé en nature, être remboursé en ar- gent. Ils firent donc un papier où ils inscrivirent le montant en pias- tres du crédit consenti. Ainsi, Arnaud et sa femme purent-ils ouvrir leur atelier et quelques mois plus tard ils avaient la joie d'offrir aux parents les premiers habits, de leur fabrication. Le premier scénario de l'histoire de la création de l'atelier d'Arnaud montre comment celui-ci pour s'établir peut recourir au crédit mutuel. C'est-à-dire qu'il recourt à la confiance de ses partenaires qui croient bien qu'Arnaud pourra les rembourser d'une façon ou d'une autre. Les mots crédit, crédibilité, ont la même origine : le verbe credere : croire ; de même qu'un système fiduciaire est un système fondé sur la confiance (fiducia: confiance). L'histoire montre d'ailleurs trois sys- tèmes différents et seul le troisième, avec Thibaud, utilise une référence à une monnaie. Les deux premiers sont simplement des accords d'échanges directs gagés, l'un sur un accord verbal avec le père, l'autre sur un ac- cord écrit avec le cousin. Même dans l'accord avec Thibaud, l'argent n'est pas à proprement dit uti- lisé, la monnaie sert simplement de référence. L'argent est une facilité, non une nécessité ou plus exactement il n'est devenu une nécessité qu'en raison d'une convention qui pourrait très bien être modifiée demain. Dans les trois cas il s'agit de crédit mutuel puisqu'intervenant entre des personnes. Mais l'histoire aurait très bien pu se passer autrement ; revenons donc en arrière au moment où Arnaud va trouver son père. 2ème scénario.- Il en parla à son père qui l'approuva et lui dit : "Tu devrais aller voir le gouverneur, c'est un homme avisé qui mène bien les affaires de notre petit état". Arnaud s'en fut donc voir le gouverneur et lui exposa son projet. "Je suis très heureux de votre démarche" lui dit le gouverneur "et je vous félicite pour votre esprit d'entreprise. Je vais pouvoir vous aider car cela correspond à ma politique de développement de notre pays. Notre population s'accroit et il est normal que les jeu- nes puissent trouver à s'employer. Nous ne sommes plus au temps de mon père, ni de mon grand-père. C'est celui-ci qui avait eu l'idée, pour faciliter les échanges, d'instituer notre monnaie : la piastre. En ce temps-là le volume et la rapidité des échanges étaient relative-. ment stables d'une année à l'autre et la quantité de piastres mise en circulation à l'époque n'avait donc pas lieu de varier beaucoup. .../ II 3 Aujourd'hui c'est différent, il est nécessaire que la masse de monnaie accompagne l'accroissement des échanges. Puisque vous allez créer une nouvelle production, il est normal que je vous ouvre un crédit qui y correspondra. Par là même sera créée une augmentation du pouvoir d'a- chat global qui permettra précisément d'acheter votre production. A ce nouveau circuit d'échange production-achat doit correspondre un circuit monétaire de même valeur, que le crédit initial va permettre d'amorcer. Allez voir mon trésorier, le sieur Renaudet, avec ce mot, vous verrez avec lui les conditions de votre crédit. Mon ami, je vous souhaite bon courage dans votre entreprise, ainsi qu'à votre jeune dame." Voir schema 3 bis page Arnaud, en quittant le gouverneur, n'avait pas osé le questionner sur les conditions de remboursement et c'est la première chose qu'il de- manda au trésorier après lui avoir expliqué son affaire. "Mais vous n'avez pas compris" lui répondit le trésorier "le crédit qui vous est octroyé est une création monétaire qui va per- mettre-la-production-puie-lleehat-des-vêtements-que-vous-allez-eenfee- tionner vous permettre d'acheter les fournitures pour votre produc- tion. Cet argent transmis à vos fournisseurs va précisément leur per- mettre, à eux ou à d'autres, d'acheter les vêtements produits. Le pouvoir de produire qui vous a été consenti va se transformer immé- diatement en pouvoir d'achat. L'argent constitue en quelque sorte le sang qui permet les échanges. Vouloir retirer ou même seulement diminuer le volume sanguin, ce se- rait provoquer l'asphyxie ! Si nous vous demandions le remboursement de cet argent, ce serait vouloir asphyxier votre entreprise après l'avoir aidé à venir au monde ! Et même si vous vous en sortiez et si ce n'était pas l'achat de votre production qui en pâtissait, ce serait celle de vos voisins puisque le volume global de monnaie aurait été réduit par l'annulation de la création initiale." Tout heureux d'avoir un auditeur attentif, d'autant plus attentif qu'il y était directement intéressé, le trésorier se cala dans son fauteuil et repris : "D'ailleurs ce crédit ne vous est pas tellement personnel : c'est un crédit collectif puisqu'il concerne aussi bien vos fournisseurs que vos acheteurs futurs. Il ne coûtera pratiquement rien à personne : quelques lignes dans mes livres et si tout ou partie en est converti en monnaie métallique ou fiduciaire, le coût de la fabrication des pièces ou des billets. Il y a encore une raison supplémentaire pour ne pas vous demander le remboursement, ni même d'intérêts : c'est que vous seriez forcé de répercuter ces frais financiers dans vos prix de vente et nous ne tenons pas du tout à connaître l'inflation galopante que connaissent d'autres pays. Avez-vous déjà été à l'étranger ?" "Non, pas encore" "J'y ai été plusieurs fois et bien je puis vous dire que des choses pourtant aussi élémentaires ne sont pas comprises, et même par mes collègues et les gouvernants de ces pays. La situation, il est vrai y est embrouillée à plaisir. Dans certains pays, ce ne sont ni les chefs d'état, ni des représentants du peuple qui prennent les déci- sions d'octroi de crédit mais des personnes appelées financiers. .../ Crédit initial approvisionnerent Circuit monetaire Paiement de l'achat Consommation équipement on exportation Vente Production palement approvisionnement main-d'œuvre et remuneration Pouvoir d'achat Supplémentaire Au circuit d'échange de production doit correspondre. un circuit monétaire de même valeur. II. 3 bis II Back 4 Ces octrois ne se font pas en fonction de l'intérêt commun mais suivant les intérêts particuliers: la condition d'octroi est surtout d'obtenir le maximum de rentabilité financière. Et tous les crédits même les crédits collectifs sont considérés par eux comme des préts remboursables avec intérêts. La création de monnaie est effectuée d'une manière anarchique par les financiers et les gouvernements limitent artificiellement les crédits sans pouvoir suivre exactement les variations du volume des échanges. Etranglés par cette pénurie artificielle d'argent et par des prix de revient grevés par des charges fiscales et financières, les producteurs sont forcés à la fois de limiter les salaires et d'augmenter leur prix. Diminution de la masse monétaire et inflation des prix entraînent évidemment une réduction correspondante de pouvoir d'achat. Alors faute de débouchés, les producteurs doivent s'arracher les marchés et finalement diminuer la production, licencier des ouvriers ; ils ne peuvent plus investir et beaucoup finalement font faillite." "Quand même dans ces cas-là; les financiers doivent consentir des facilités de crédit ?" "Pensez-vous, puisqu'aucune rentabilité financière n'est sûre dans ces conditions". "Mais alors c'est le gouvernement de l'état qui ouvre des crédits collectifs ?" "Même pas et cela parce que les experts conseillent pour lutter contre la hausse des prix d'augmenter les prix de revient en raréfiant 1'argent par le blocage du crédit, l'augmentation des taux d'intérêts, tout en augmentant pour faire bonne mesure les charges, les impôts et les tarifs fixés souverainement." "Et personne ne dit rien ? c'est incroyable". "Personne ne semble voir de telles absurdités, c'est ça le plus incro- yable !" "Et bien je préfère vivre dans notre pays !" "Vous avez bien raison. Revenez la semaine prochaine, d'ici là j'aurai effectué l'enquête habituelle et préparé tout ce qui concerne l'ouverture de votre crédit "Je vous remercie bien". "Ne me remerciez pas, après tout je ne suis qu'un comptable". et dans cette dernière phrase le trésorier laissait percer malgré lui un peu d'envie envers les financiers étrangers qui eux ne se contentaient pas d'un rôle de comptable ! Est-ce que nos pays occidentaux ne ressembleraient pas quelque peu aux pays étrangers décrits par le sieur Renaudet, trésorier ? Ces moeurs financières étranges ne seraient-elles un peu ou tout à fait les nôtres ? Nous en reparlerons dans l'article n° 3.