DOSSIER 11 LE MONDE diplomatique - JUILLET 2009 Les extraterrestres, entre science et culture populaire Un dossier de cinq pages sur les extraterrestres : Le Monde diplomatique aurait-il perdu la tête ? L'idée que la vie - sans même parler d'une « intelligence » - existe en dehors de la Terre est pourtant on ne peut plus banale. Dès l'Antiquité - avec Plutarque et ses Sélénites-, jusqu'à David Bowie et ses araignées de Mars, quiconque lève le nez pour observer les étoiles se prend à imaginer des êtres lointains et néanmoins proches... Dans le sillage de la conquête de l'espace, l'humanité a, deux décennies durant, projeté ses peurs et ses espoirs hors de sa planète. La science rejoignait la fiction : il y a quarante ans, en juillet 1969, M. Neil Armstrong posait le pied sur la Lune, avant que des astronomes expédient dans les cieux des messages à l'intention de civilisations extraterrestres. Un état d'esprit vite supplanté par des considérations plus mercantiles. Si la possibilité de l'existence d'autres mondes ne pose aucun problème à une fraction des religieux, des chercheurs et des rêveurs, elle est en revanche rejetée par d'autres comme infondée, irrationnelle, voire hérétique. D'où les malentendus en série, les «< complots >> des uns renvoyant à la «< crédulité » des autres. Sortir de soi pour mieux se comprendre voilà à quoi nous invitent... les extraterrestres. Au Japon, le ministre de la défense s'inquiète PAR ODAIRA NAMIHEI * E JAPON est-il prêt à faire face à l'arrivée d'extraterrestres ?» Cette interrogation formulée, en décembre 2007, par M. Yamane Ryuji, membre de l'opposition, lors d'une séance de questions au gouver- nement a suscité une belle cacophonie dans l'Archipel. Surtout lorsque le ministre de la défense, celui de l'édu- cation et des sciences puis le premier ministre ont tâché d'y répondre, semant le trouble dans les médias. « Nous ne disposons d'aucune certitude qui nous permette de prétendre que les ovnis n'existent pas ou que des formes de vie les contrôlant sont inexistantes », a expliqué M. Ishiba Shigeru, le ministre de la défense, à des jour- nalistes médusés. Pour lui, le Japon devait se préparer à réagir en définissant le cadre légal d'une éventuelle inter- vention armée. La réaction de M. Ishiba a évidemment fait sourire de nombreux observateurs alors même qu'elle mettait le doigt sur l'extrême complexité de la question militaire au Japon. Anéanti en 1945 après avoir tenté de s'imposer comme la puissance dominante en Asie, le pays du Soleil-Levant a chèrement payé ses ambitions. L'atomisation de Hiro- shima et Nagasaki en août 1945 ainsi que la Constitution de 1946-1947, en vertu de laquelle le Japon renonce à la guerre, pèsent encore sur la politique de défense du pays, qui ne dispose officiellement pas d'armée mais de forces d'autodéfense (1). Dès lors, la dépendance militaire à l'égard du grand vainqueur de la seconde guerre mon- diale côté Pacifique, les Etats-Unis, a été extrêmement forte, C'est ce qui explique que ces trois thèmes (l'arme nucléaire, le rôle des militaires et la place de la science) sont souvent centraux dans la littérature, le cinéma ou la bande dessinée de science-fiction. Ils servent de fil conducteur à la réflexion des Japonais sur leur nation redevenue indépendante, en avril 1952, avec la fin de l'occupation américaine. ROBERT GIGIAGENCE MARTIENNE Dans Godzilla (Gojira, 1954), de Honda Ishiro (2), pre- mier film d'une longue série mettant en scène un monstre sorti des profondeurs de l'océan pour tout détruire sur son passage, les scénaristes ont imaginé que le réveil de la bête était lié aux essais nucléaires menés par les Etats-Unis dans l'océan Pacifique. Quelques mois avant le tournage, un chalutier nippon avait été contaminé après un essai atmo- sphérique américain. Les journaux avaient alors parlé de «seconde atomisation de l'humanité» Moins de dix ans après Hiroshima et Nagasaki, des Japonais étaient victimes de l'atome made in USA. En s'inspirant de cette affaire pour son film, Honda rappelait à ses compatriotes que leur pays restait vulnérable et que la destruction de Tokyo par God- zilla devait marquer un nouveau départ pour le pays tota- lement libéré du monstre et des Américains (3). Le Japon pouvait ainsi reprendre en main son destin, car la solution au problème Godzilla était le fruit d'une recherche menée par un scientifique nippon, le docteur Serizawa. Trois ans plus tard, le même Honda réalise The Mysterians (Chikyu Boeigun, 1957) (4) Cette fois, il n'est plus question de monstre, mais d'extra- terrestres rescapés d'une guerre nucléaire qui a détruit leur planète. Ils s'installent au pied du mont Fuji, symbole du Japon, pour tenter de recréer leur société dominée par la science Si leurs intentions semblent pacifiques - « Notre objectif est de mettre un terme aux guerres atomiques », affirment-ils -, ces êtres venus d'un autre monde émettent une série d'exigences que le Japon ne peut tolérer. Ils réclament notamment de s'unir avec des humains afin de régénérer leur race contaminée par les radiations. Pour les chasser, les militaires nippons interviennent, mais sans résultat. C'est avec le soutien de l'Organisation des Nations unies (ONU), que Tokyo a intégrée en 1956, que les hommes parviennent à leur faire quitter la planète; pour éviter qu'ils ne reviennent, les Terriens lancent des satel- lites qui surveilleront l'espace. Une idée ajoutée au scénario à la der- nière minute après la mise en orbite réussie du premier Spoutnik par les Soviétiques. Dans ce film, dont le titre original Chikyu Boeigun signi- fie littéralement « l'armée de défense de la Terre », les extraterrestres exercent leur puissance par l'intermédiaire d'un robot géant qu'ils commandent à distance. Journaliste 00 El hombrecito», extraterrestre du type «petit homme poilu » (observé au Venezuela en 1954). Image extraite de la bande dessinée Ceux venus d'ailleurs, de Jacques Lob et Robert Gigi, Dargaud, Paris, 1973. La figure du robot destructeur est une autre caractéristique de la science-fiction japonaise des années 1950 et de la première moitié des années 1960. Elle symbolise l'extrême vulnérabilité d'un pays coincé au milieu de l'affrontement Est-Ouest et confronté à l'impossibilité de choi- sir sa propre voie. Mais la réussite de son économie lui permet d'espé- rer autre chose. Les extraterrestres et les robots se transforment alors en alliés et contribuent à ramener la paix quand c'est nécessaire. La série télévisée Ultraman (Urutoraman), diffusée à partir de juillet 1966 par la chaine TBS, illustre ce schéma. Elle met en scène l'histoire des cinq membres japonais de la Patrouille scientifique mondiale, organisation chargée de protéger la Terre. Au cours d'une mission, le héros, Hayata, acquiert le pouvoir de se transformer en Ultraman, un géant qui ne fait qu'une bouchée de toutes les menaces contre notre planète. E LA MÊME FAÇON, le manga Cyborg 009 (Saibogu 009), d'Ishi- nomori Shotaro (5), raconte comment neuf humanoides issus ciper à la conquête du monde, se rebellent contre l'organisation Black Ghost, qui entend les manipuler. L'image est limpide les Japonais refu- sent de subir le diktat des grandes puissances. Lors de sa première paru- tion en 1964, le monde vit au rythme des tensions entre l'Union sovié- tique et les Etats-Unis. L'Archipel, qui a montré sa puissance technologique et culturelle lors des Jeux olympiques organisés cette année-là à Tokyo, revendique au travers de cette histoire le droit de s'extraire de cette rivalité. Pour empêcher Black Ghost d'appliquer ses noirs desseins, le héros principal de Cyborg 009-Shimamura Jo, de son vrai nom- est prêt au sacrifice suprême. De nombreux personnages issus de l'univers de la science-fiction nippone n'hésitent pas à donner leur vie pour sauver la Terre. C'est le cas du capitaine du cuirassé de l'espace Yamato (Uchu Senkan Yamato) dans la série d'animation éponyme réalisée, en 1974, par Matsumoto Leiji (6). Elle relate les aventures interstellaires de ce vais- seau confronté à différentes civilisations extraterrestres qui menacent l'humanité. A la fin, Yamato mènera une mission- suicide pour sauver la Terre d'une disparition certaine Dans un Japon créé par deux esprits célestes, Izanami et Izanagi, l'homme est bien peu de chose face à la puissance des dieux. Laquelle peut se manifester à tout instant. Au nom- bre des croyances populaires les plus enracinées, on compte celle du namazu, ce poisson-chat géant sur lequel reposent les iles et dont les soubresauts provoquent les séismes destruc- teurs. Komatsu Sakyo, que l'on considère comme le «< roi de la science-fiction nippone », a imaginé le pire dans son roman La Submersion du Japon (Nippon Chinbotsu) (7), paru en 1973 et adapté au cinéma dès sa sortie en librairies (une nouvelle version a été réalisée en 2006). Décrivant de façon précise les conséquences d'un tremblement de terre extrêmement puissant, l'auteur rappelle qu'il n'est nul besoin d'extraterrestres pour mettre en danger l'Archipel. La nature, incarnée par de nombreuses divinités issues de la mytholo- gie japonaise, s'en charge très bien. Et, lorsque celle-ci ne suf- fit plus, un réalisateur talentueux comme Oshii Mamoru, à qui l'on doit notamment la série Patlabor 1 & 2 (Kido Kei- satsu Patoreiba, 1989, et Kido Keisatsu Patoreiba 2, 1993) ou encore Ghost in the Shell (Kokaku Kidotai, 1995), crée de nouveaux mythes mieux adaptés à la société moderne. Ils sont aussi plus globaux et peuvent ainsi toucher un public beaucoup plus large. Q U'IL SOIT incarné par des mythes, des machines, des mutants ou des extraterrestres, l'élément perturbateur fait surgir la menace du chaos en même temps qu'il annonce une renaissance, prélude à une reconstruction de la société. Dans Neon Genesis Evangelion (Shin Seiki Evan- gelion, 1995) (8), de Anno Hideaki, considérée comme l'une des meilleures séries animées de ces quinze dernières années, des robots géants combattent de mystérieuses créa- tures venues semer la désolation. Peu avant sa première dif- fusion à l'automne 1995, le Japon avait subi deux trauma- tismes : le séisme de Kobé (17 janvier) (9) et l'attentat au gaz sarin dans les couloirs du métro de Tokyo (20 mars) per- pétré par des membres de la secte Aum, dont le dirigeant Asahara Shoko prônait l'apocalypse (10). Assurément, la réalité n'était pas aussi facile à contrôler que le laisse croire la science-fiction. Celle-ci permet aux Japonais de se projeter dans un avenir où ils maîtrisent leur propre destin. Dès lors, la question du député Yamane sur les mesures à prendre en cas d'invasion extraterrestre n'apparaît plus tout à fait saugrenue. Pour nombre d'habitants, l'extraterrestre du moment se nomme Kim Jong-il. Et la menace que le dirigeant nord-coréen fait peser sur la région avec son programme nucléaire et ses essais de mis- siles balistiques exige une réponse gouvernementale plus claire que celle donnée en 2007 lors du débat sur les ovnis. (1) Lire Manière de voir, n° 105, «Le Japon méconnu », juin-juillet 2009 (en vente en kiosques). (2) La version originale, et non la version adaptée pour le marché américain, est sortie récem- ment en DVD grâce au British Film Institute (BFI) avec des sous-titres en anglais Honda Ishiro, Godzilla, BFI, Londres. (3) August Ragone, Eiji Tsuburaya Master of monsters, Chronicle Books, San Francisco, 2007. (4) Ce film a aussi fait l'objet d'une édition DVD avec des sous-titres en anglais : Honda Ishiro, The Mysterians, British Film Institute. (5) Glénat, coll. «Vintage », Grenoble, 2009 (6) Malgré son succès international, série est restée inédite en France. (7) La traduction française est parue chez Albin Michel en 1977 avant d'être rééditée par Philippe Picquier. (8) La série Neon Genesis Evangelion est sortie en France au format DVD chez Dybex (9) Il a fait six mille quatre cent trente-sept morts et quarante-trois mille sept cents blessés (10) Cet attentat a coûté la vie à douze personnes. Cinq mille cinq cents personnes ont été intoxiquées plus légèrement. JUILLET 2009 - LE MONDE diplomatique 12 70 DOSSIER Quelques dates Vers 95. Plutarque écrit De facie in orbe lunae (De la face qui paraît sur la Lune) Premières discussions sur d'éventuels habitants. 1277. Etienne Tempier, évêque de Paris, condamne deux cent dix-neuf croyances « communément admises dans les écoles »; « l'une de ces croyances était que la Cause Première ne pouvait créer plusieurs mondes ». 1443. De Revolutionibus, de Nicolas Copernic, ouvre la possibilité d'une pluralité des mondes. 1585-1590. Galilée « Les Ecritures imposent la croyance en un seul cosmos [mais] Dieu peut créer autant de mondes qu'il le désire. » 1600. Giordano Bruno meurt sur le bûcher à Rome pour avoir défendu la thèse de la pluralité des mondes habités. 1610. Le philosophe Johannes Kepler «La remarquable cavité circulaire sur la Lune était-elle l'œuvre des habitants lunaires? » 1686. Bernard Le Bovier de Fontenelle publie Entretiens sur la pluralité des mondes habités. 1698. Parution de Cosmotheoros, de Christiaan Huygens 1755. Emmanuel Kant, Théorie du ciel 1758. Emanuel Swedenborg, Des terres dans notre monde solaire 1835. «Moon Hoax » un journaliste du New York Sun se fait passer pour l'astronome Herschell et annonce la découverte de Sélénites. 1865. L'écrivain Henri de Parville décrit l'arrivée sur la Terre d'une météorite contenant le corps d'un habitant de Mars. 1869. L'écrivain et inventeur Charles Cros propose de communiquer avec Mars ou Vénus grâce à des miroirs paraboliques. 1872. Louis Auguste Blanqui, L'Eternité par les astres. 1877. Observation de canali (canaux) à la surface de Mars par l'astronome Schiaparelli. 1886. Guy de Maupassant, L'Homme de Mars. 1891. M Guzman, une dame fortunée, propose un prix de 100 000 francs pour l'établissement d'une communication avec un astre. Elle exclut Mars, trop facile ! 1898. Herbert George Wells publie The War of the Worlds (La Guerre des mondes), première invasion extraterrestre de la Terre. 1899. L'ingénieur d'origine serbe Nikola Tesla capte des messages radio en provenance de Mars. 1919. Charles Fort publie Le Livre des damnés, recensant les curiosités scientifiques 1920. The New York Times rapporte que Guglielmo Marconi aurait capté des signaux provenant de l'espace. 1926. Premier numéro d'Amazing Stories, magazine de scientifiction, aux Etats-Unis. 1927. Création de la société astronautique allemande Verein für Raumschiffahrt (Société pour le voyage en vaisseau spatial). Suit, en 1930, la fondation de l'American Interplanetary Society (plus tard, American Rocket Society) et, en 1934, de la British Interplanetary Society 30 octobre 1938. Emission d'Orson Welles (lire « La guerre des mondes n'a pas eu lieu » page 13). 1947. Observation des premières « soucoupes volantes ». Un colloque organisé par l'astrophysicien Gerard Kuiper conclut que, pour détecter la vie, il convient d'étudier l'atmosphère des planètes. 1948. Le groupe Project Sign rédige un rapport top secret concluant à l'origine extraterrestre des soucoupes. Le général Hoyt Vandenberg en rejette les conclusions en raison d'un manque de preuves. 1950. L'écrivain américain Ray Bradbury publie Chroniques martiennes. Le physicien italien Enrico Fermi évoque un paradoxe: compte tenu de la relative jeunesse du Soleil parmi les étoiles de notre galaxie, nous devrions déjà être en contact avec des extraterrestres. .../... GIGIAGENCE MARTIENNE 111 Cette extraterrestre et ses deux anges gardiens s'apprêtent à enlever le paysan brésilien Antonio Villas Boas (Brésil, 1957). Image extraite du portfolio de Jacques Lob, «Les Femmes de Jacques Lob». Le succès du roman «Da Vinci Code >>, de Dan Brown, ou de la série télévisée «X-Files », l'audience des allégations conspirationnistes sur les attentats du 11-Septembre ou quant à la réalité des premiers pas de l'homme sur la Lune incitent à s'interroger sur la place des théories du complot dans l'imaginaire politique. Or, s'il est un thème qui a été constamment mêlé à ce registre, c'est bien celui des soucoupes volantes. PAR PIERRE LAGRANGE * L A SPECULATION sur l'existence des extraterrestres remonte à la plus haute Antiquité. Mais il faut attendre Herbert George Wells et sa Guerre des mondes en 1898 pour imaginer la première inva- sion extraterrestre. Et c'est seulement en 1947 qu'apparaît le débat sur la possibilité de telles visites - pré- cisément le mercredi 25 juin, dans le Pacifique nord-ouest Ce jour-là, la presse rapporte une observation effectuée près du mont Rainier. La veille, un pilote d'avion privé, Kenneth Arnold, avait aperçu neuf engins à la forme étrange, arron- dis à l'avant, triangulaires à l'arrière. Il s'en ouvre à des collègues et à des journalistes de l'East Oregonian à Pend- leton (Oregon). Ainsi naissent les expressions flying disk et flying saucer (respectivement «< disque volant » et «< sou- coupe volante »). Dans les semaines et les mois qui suivent, des centaines d'autres observations sont relatées par la presse. C'est la première grande vague d'apparitions de ce qu'on appellera quelques années plus tard des UFO ou, en français, des ovnis (1). Chercheur associé au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), auteur de La guerre des mondes a-t-elle eu lieu ?, Robert Laffont, Paris, 2005, et d'Ovnis. Ce qu'ils ne veulent pas que vous sachiez, Presses du Châtelet, Paris, 2007 Dès cette période germe l'idée selon laquelle la vérité sur les soucoupes serait cachée au public. Certes, le dis- cours dominant attribue le phénomène à une « croyance populaire »>, mais quelques voix évoquent des liens entre les soucoupes et des secrets bien gardés. En septem- bre 1947, le Bureau fédéral d'investigation (Federal Bureau of Investigation, FBI) reçoit ainsi une lettre d'un Américain interpellant J. Edgar Hoover, et exigeant de savoir s'il participe au camouflage de données sur ces mystérieux engins volants. Certains magazines de science-fiction, comme Ama- zing Stories, publient les toutes premières rumeurs, rap- portées par des lecteurs, de soucoupes écrasées sur Terre que l'armée aurait découvertes et aussitôt cachées. Mais ces histoires ne touchent qu'un public restreint Il faut attendre 1950, et la parution de Behind the Flying Saucers (Le Mystère des soucoupes volantes), un best-seller du chroniqueur de Variety Frank Scully, pour que cette thèse gagne une large audience. C'est à cette même époque qu'apparaissent les premiers enquêteurs amateurs, souvent appelès « soucoupistes »; ils s'organisent en groupes et publient des bulletins. Deux tendances se dessinent: les uns insistent sur la nécessité de recueillir les témoignages sur les soucoupes pour établir la preuve de leur existence d'autres soupçonnent l'armée de l'air américaine d'en détenir d'ores et déjà la preuve ou, à tout le moins, de sérieux indices. L'Aerial Phenomena Research Organiza- tion (APRO), fondée en 1952, représente la première ten- dance. Le National Investigations Committee on Aerial Phenomena (Nicap), créé quatre ans plus tard, soutient la deuxième option, et se constitue en lobby pour exiger la révélation des informations détenues par l'armée. Ancien soldat du corps des marines, auteur de livres à succès sur les soucoupes et président du Nicap à partir de 1957, le major Donald Keyhoe attire au sein du comité des per- sonnalités issues des milieux médiatiques, militaires et politiques, comme le général Roscoe Hillenkoetter, pre- mier directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) en 1947. Pourtant, au moment même où il accuse l'armée de camoufler les faits, Keyhoe rejette les révélations de Scully sur les crashs de soucoupes, une enquête d'un journaliste californien lui donne d'ailleurs raison en établissant que ses informateurs sont des escrocs bien connus du FBI. A côté du Nicap, de l'APRO et d'autres associations apparues un peu partout dans le monde - l'ensemble for- mera ce qu'on appelle l'ufologie se développe une Un cosmonaute nommé Jésus ARTOUT sur la planète, les humains observent des choses lumineuses dans le ciel. Mais, de même que nos feux follets étaient interprétés comme les âmes errantes de défunts, nos ovnis étaient appréhendés selon d'autres schémas avant notre XX siècle technologique. Dans les campagnes françaises du XIXe siècle, une lumière céleste mobile pouvait être perçue comme un vol de sorcière en route pour le sabbat. Attribuer les phénomènes célestes aux ovnis requiert en premier lieu de connaître un minimum de « culture ufologique » véhiculée par la littérature, le cinéma, la bande dessinée, les dessins animés, etc. En 1978, le philosophe Bertrand Méheust rapporte son expérience d'enseignant coopérant au Gabon: quand il montre à ses élèves une série de vignettes représentant les étapes d'une « rencontre du troisième type » (atterrissage d'un ovni, débarquement de ses passagers, etc.), les enfants y voient l'atterrissage d'une maison volante. En Amérique latine, la thématique des ovnis a connu un développement spectaculaire après la seconde guerre mondiale, dans le sillage de la « culture soucoupique » qui prospère alors aux Etats-Unis. Une abondante littérature évoque des bases extraterrestres sous-marines au large du Chili, des centres secrets dans les Andes ou la forêt amazonienne. Des auteurs établissent même un lien entre le mystère des soucoupes volantes et celui des monuments précolombiens - les figures tracées au sol à Nazca (Pérou) sont interprétées comme des pistes d'atterrissage extraterrestres. En URSS, entre 1946 et 1970, des auteurs comme Alexandre Kazantsev ou Viatcheslav Zaitsev mobilisent les ovnis pour développer une explication matérialiste des religions dans des revues comme Spoutnik et Etudes soviétiques: ce que les humains révèrent comme des dieux serait en réalité des extraterrestres; Le Christ était un cosmonaute », expliquera Zaitsev... P. L Ovnis et constellation de petits groupes underground qui produisent tout un folklore sur les soucoupes volantes rumeurs de bases dans l'Antarctique, de mystérieux hommes en noir (les fameux Men in Black), d'accidents de soucoupes volantes, d'une rencontre secrète entre le président Dwight Eisenhower et les extraterrestres, etc. Dans une position encore plus marginale, les très populaires «< contactés », qui ont eu la chance de rencontrer les pilotes venus d'ail- leurs, transmettent lors de conférences publiques le mes- sage de paix et d'avertissement qu'on leur a confié. Ces groupes sont considérés par les historiens de l'ésotérisme comme étant à l'origine du courant du Nouvel Age (New Age) avec leur discours écologique avant la lettre. Le plus célèbre d'entre eux, George Adamski, sera même reçu par la reine Juliana des Pays-Bas en 1959. Dans les années 1960, la controverse publique sur les UFO évolue de façon notable. Au sein de la jeune géné- ration de scientifiques, des chercheurs veulent prendre au sérieux ces questions; certains partagent les interroga- tions des ufologues. Ce mouvement coincide avec la mise en cause des responsables du programme d'étude des ovnis de l'armée de l'air. Celle-ci a en effet chargé son consultant scientifique, l'astronome Josef Allen Hynek, d'inventer une explication pour calmer l'opinion à la suite d'une série d'observations fameuses réalisées dans le Michigan en mars 1966 des témoins affirment avoir vu une escadrille de soucoupes volantes se poser dans une zone marécageuse. Hynek a la mauvaise idée d'invoquer des feux follets (en anglais swamp gas, gaz des marais) pour expliquer ces visions. La presse se déchaîne contre lui, et des personnalités politiques réagissent, à l'instar de Gerald Ford, alors représentant de l'Etat du Michigan. Peu à peu, la controverse scientifique rejoint les soup- çons d'informations cachées. Le Pentagone se débarrasse de son programme d'étude des ovnis, le Project Blue Book, et confie l'analyse de ce brûlant objet à une com- mission scientifique de l'université du Colorado. Elle est placée sous la direction d'Edouard Condon, un physicien prestigieux et réputé pour son indépendance - il a subi les foudres du sénateur Joseph McCarthy pendant la chasse aux sorcières en raison de ses idées progressistes. D'abord ouvert à toutes les hypothèses, Condon rend en 1968 des conclusions négatives: il n'affirme pas que les ovnis n'existent pas (le rapport contient un certain nombre de cas inexpliqués par son équipe), mais considère que le sujet ne présente aucun intérêt scientifique. La société, explique- t-il, n'a pas à financer de telles recherches. Ce coup d'ar- rêt contribue à creuser un fossé entre « culture ufolo- gique » et culture scientifique. Et à éloigner cette dernière de la culture commune. Certains ufologues tentent de comprendre les raisons pour lesquelles les scientifiques ne parviennent pas à étudier ce sujet, les soupçonnant parfois de participer à la «< conspiration du silence »> Preuves dissimulées, soucoupes volantes cachées, bases secrètes et lettres anonymes... LA MÊME ÉPOQUE, des auteurs élaborent d'autres A hypothèses par sa nature même, le phénomène échapperait à l'administration de la preuve. L'astronome et informaticien Jacques Vallée, dont l'ouvrage Passport to Magonia (1969) rapproche les récits de rencontres avec les pilotes de soucoupes des récits du folklore fan- tastique sur le «< petit peuple » (lutins, farfadets et gobe- lins), imagine que le phénomène organise lui-même son propre camouflage et fonctionne comme un système de contrôle sur l'espèce humaine (2). De son côté, l'écrivain John Keel pense que les ovnis - souvent apparus sous la forme de phénomènes lumineux sont non pas des engins mais la forme sous laquelle la Terre, considérée comme un être vivant, manifeste sa présence (3). Dans ces théories, la preuve ne fait pas défaut parce que des services de renseignement la dissimuleraient, mais parce que le phénomène lui-même se soustrait à l'administra- tion de cette preuve. Si l'hypothèse d'un complot prend des formes diffe- rentes, son influence demeure limitée. Il faut attendre les années 1970, et l'assouplissement de l'accès aux docu- ments administratifs aux Etats-Unis après l'affaire du Watergate, pour que la thèse d'une « conspiration du silence » prenne de l'ampleur. Submergés de demandes d'information, le FBI puis la CIA et même la National Security Agency (NSA) rendent publics des documents. démontrant par là même qu'ils avaient menti en affirmant ne pas avoir enquêté sur le sujet. La thèse du secret se diffuse auprès du grand public, notamment grâce au film de Steven Spielberg Rencontres du troisième type, sorti en 1977, qui, le premier, traduit à l'écran et vulgarise la culture underground des ufologues. Que raconte-t-il ? L'histoire d'un programme secret visant à entrer en contact avec les extraterrestres. Un scénario dans lequel les autorités publiques n'hésitent pas à désin- former le public pendant qu'un peu partout sur la planète des témoins sont manipulés par des êtres venus d'ailleurs. Trois ans plus tard, le premier livre sur l'affaire de Roswell (un nom jusqu'alors inconnu) sort en librairies. C'est un succès. Il relate le prétendu crash d'une soucoupe volante à Roswell (Nouveau-Mexique), en juillet 1947; les mili- taires auraient conservé l'engin ainsi que des dépouilles d'extraterrestres. Pourtant, si l'histoire ainsi que les nom- breux récits (diffusés par l'ufologue Leonard Stringfield) de vaisseaux récupérés par l'armée de l'air américaine susci- tent un intérêt croissant, le nom de Roswell ne s'impose dans la mémoire collective qu'au milieu des années 1990 - à la suite d'une série d'événements. DOSSIER 13 LE MONDE diplomatique - JUILLET 2009 théorie du complot Le premier survient en 1987; un congrès d'ufologues à Washington révèle l'existence de documents ultra-secrets émanant d'une officine, le MJ-12, mise en place en 1947 par le président Harry S. Truman pour gérer l'affaire de Roswell. La polémique fait rage sur l'authenticité de ces documents, expédiés sous pli anonyme. D'autres << sou- coupistes » finissent par obtenir la preuve qu'il s'agit de faux. Mais l'un des objectifs du faussaire - faire parler de l'affaire de Roswell à travers la diffusion de ces docu- ments - est désormais atteint. Des ufologues entrepren- nent auprès de certains membres du Congrès un vrai tra- vail de lobbying qui finit par porter ses fruits. La Cour des comptes américaine (General Accounting Office, devenu en 2004 Gouvernment Accountability Office, GAO) lance une enquête sur la gestion de l'affaire Roswell par l'US Air Force. Et, en 1994, l'armée de l'air rend public un épais rapport expliquant l'affaire par un programme secret de ballons espions, espérant en finir avec cette contro- verse. A la même époque, la série télévisée « X-Files >> développe la thématique du complot sur les ovnis, et une vidéo mettant en scène l'autopsie d'un extraterrestre se diffuse à grande échelle. Tenue pour une falsification par les ufologues, l'affaire du MJ-12 connaît une seconde vie, quelque peu hors de contrôle, en venant se greffer à des histoires plus anciennes. Au début des années 1970, un producteur de télévision s'était vu offrir la possibilité d'utiliser de pré- tendus films secrets montrant un contact entre l'armée et les extraterrestres sur la base de Holloman (Nouveau- Mexique). Cette légende ainsi qu'une série d'affaires liées aux étranges agissements d'un agent du Bureau des enquêtes spéciales de l'armée de l'air américaine (Air Force Office of Special Investigations, Afosi) de la base de Kirkland enfantent un riche folklore impliquant des bases extraterrestres souterraines, des contrats passés entre l'armée américaine et des créatures de l'espace, des enlèvements d'humains en vue de manipulations géné- tiques et de création d'hybrides, etc. En 1990, des individus étrangers à la scène ufologique commencent à diffuser des révélations sur le réseau Inter- net naissant. Liés à l'extrême droite américaine, parfois anciens militaires, ils prétendent détenir des informa- tions sur l'existence d'un Watergate cosmique. De telles thèses favorisent la publication d'une littérature de plus en plus délirante sur le « grand complot »>. M. John Lear, ancien pilote de la CIA et fils d'un constructeur d'avions, et Milton William Cooper, un ancien marine lié aux milices d'extrême droite, se montrent très actifs dans cette retraduction des mythes ufologiques. Avec M. Robert Lazar, qui prétend avoir travaillé comme ingé- nieur et physicien sur des soucoupes dans la très secrète «Zone 51» (Nevada), ils développent un récit complo- tiste dont les auteurs de « X-Files » feront leur miel. Le succès phénoménal de la série conférera à leurs théories le statut de mythologie populaire. Pourtant, à l'exception de l'écrivain de science-fiction Jimmy Guieu, auteur en France d'une série de « romans-vérité » sur ce thème, la plupart des ufologues sont étrangers à cette littérature et dénoncent fermement ces a révélations >>. Il est tentant d'ignorer ces nuances et de ranger sans dis- tinction tous les ufologues comme autant d'amateurs de théories du complot avant d'évoquer une « montée de l'ir- rationnel ». Ceci afin de distinguer ce qui relèverait d'une authentique culture scientifique de ce qui n'en serait qu'une pâle représentation populaire, un peu comme jadis le par- tage entre la vraie religion et les superstitions. Qu'il s'agisse E de culture politique ou de culture scientifique, les ufo- logues seraient hors jeu. Mais qui examine les fondements de la culture scientifique découvre qu'elle repose, elle aussi, sur une théorie du complot «< originaire»: la science, pour émerger, aurait dû affronter des forces obscurantistes, celles de l'Eglise toute-puissante, dans un combat sans merci - Galilée contre l'Inquisition. La vulgarisation scientifique nous a habitués à cette idée que la connaissance objective peine à émerger, que les intérêts les plus divers se liguent contre elle. Le discours sur les complots « soucoupiques >> se réfère très directement à cette approche, très populaire, des sciences le pouvoir n'aime pas que le peuple soit ins- truit et le tiendrait dans l'ignorance. Notre représentation de l'histoire des sciences est étroitement liée à cette idée d'un « complot obscurantiste contre la Raison », ainsi nommé par le philosophe autrichien Karl Popper, qui l'a contesté dans son livre Conjectures et réfutations (1953). Savants et non-savants partagent la même conception d'un savoir combattu par le pouvoir le Lfait pas par défaut de culture scientifique, mais au contraire pour avoir trop bien assimilé le discours sur la lutte de la science contre l'Inquisition. Comme le suggè- rent les ventes record du livre du Prix Nobel de physique Georges Charpak, Devenez sorciers, devenez savants (Odile Jacob, 2003), le savant et le non-savant partagent la même conception d'un savoir combattu par le pouvoir. « Le renouveau des pratiques magiques, occultes ou para- normales a été curieusement rapide, écrit Charpak. Si rapide même que l'on est en droit de se poser cette question quels sont les concours qui ont créé ce besoin et en ont favorisé, peut-être inconsciemment, l'exten- sion? » Il cite le généticien Albert Jacquard, selon qui « transformer les citoyens en moutons soumis est le rêve de bien des pouvoirs. Pour y parvenir, les moyens sont nombreux; les intoxiquer de parasciences peut être fort efficace » Si on veut tenir séparées la culture rationaliste et la « culture paranormale », la popularité du livre de Charpak est incompréhensible. En réalité, pour nombre de lecteurs, il n'y a pas de différence entre l'idée d'une guerre de l'Eglise contre le savoir scientifique à l'époque de Galilée et celle d'une conspiration moderne contre la vérité sur les ovnis. La science apparaît toute-puissante, elle est perçue avec la même méfiance qu'autrefois l'Eglise lorsqu'elle soumettait le savant à l'Inquisition. L'historien Stillman Drake, spécialiste reconnu de Galilée, se demande si ce dernier, « loin de se vouloir le champion de la vérité scientifique contre l'obscuran- tisme religieux, avait essayé de protéger la foi (4) ? ». Et si, au lieu de rendre compte de l'action de Galilée en fai- sant intervenir une conspiration de l'Eglise, et donc un Galilée opposé à l'Eglise, il fallait se représenter l'his- toire du physicien comme celle d'un homme cherchant à protéger l'Eglise contre les critiques scientifiques? Déférence gardée, l'histoire des théories du complot sur les ovnis n'est-elle pas susceptible d'être interprétée de la même façon ? Au lieu de s'interroger sur la place de L'esprit d'une époque La sonde spatiale Pioneer-10 gagne l'espace, le 2 mars 1972. Accrochée à sa structure, une plaque gravée représentant un homme et une femme nus ainsi que des indications de posi tion adresse un message à une hypothétique intelligence extraterrestre. Carl Sagan (1934- 1996) en est l'auteur. Astronome prestigieux et pionnier de l'exobiologie - étude de l'ap- parition de la vie, sur Terre ou ailleurs -, Sagan se fera connaître du grand public par ses œuvres de vulgarisation, comme le documentaire-fleuve & Cosmos ». En 1977, les sondes Voyager destinées à quitter le Système solaire emportent avec elles un disque numérique. Dans ce disque, explique Sagan, nous parlons de nos gènes, de notre cerveau, de nos bibliothèques, à d'autres êtres qui éventuellement exploreraient les mers de l'espace interstellaire. Nous n'avons pas voulu envoyer d'informations scientifiques élé- mentaires. Une civilisation capable d'in- tercepter dans les profondeurs de l'espace un engin Voyager dont les émetteurs se seraient tus depuis longtemps aurait des connaissances scienti- premiers âges de notre planète, avant l'apparition de la vie, puis des sons évoquant l'évolution de l'es- pèce humaine jusqu'aux plus récents développe- ments de notre technologie. Tout comme le chant des baleines, c'est un message d'amour que nous lançons dans la profonde immen- sité. Il restera sans doute en grande partie indéchiffré, mais nous le transmettons cepen- dant, parce qu'il est impor- tant d'essayer protectrice du disque expédié dans l'espace avec la s Pochette protectrice d fiques beaucoup plus étendues que les nôtres. Nous avons voulu au contraire raconter à ces êtres inconnus ce qui nous paraît unique à propos de nous-mêmes. (-) Malgré le fait que les destinataires ne connais- sent sans doute aucune des langues parlées sur la Terre, nous leur adressons nos saluta- tions en soixante langues, et le bon- cla sonde sonde Voyager Les inscriptions donnent, entre autres, le mode d'emplol. jour des baleines mégaptères. Nous leur envoyons également des photographies d'êtres humains du monde entier engagés dans des entre- prises communes, étudiant, fabriquant des outils et des œuvres d'art, et se mesurant à des tâches har- dies. Nous leur offrons une heure et demie de musiques exquises originaires de diverses cultures; certains morceaux expriment notre sentiment de solitude cosmique, notre vœu de mettre fin à notre isolement, notre désir d'entrer en contact avec d'autres êtres dans le cosmos. Nous avons enregistré des sons qu'on aurait pu entendre aux Dans le même esprit, nous avons confié à Voyager les pensées et les émotions d'un indi- vidu l'activité élec- trique de son cerveau, de son cœur, de ses yeux et de ses muscles fut enregistrée pendant une heure, traduite en sons, condensée dans le temps et incorporée au disque. En un sens, nous avons lancé dans le cosmos les pensées et émotions d'un être humain parmi tous les autres, un jour du mois de juin 1977, sur la planète Terre. Il se peut que les destinataires n'y comprennent rien, ou pensent qu'il s'agit de l'en- registrement d'un pulsar - ce à quoi le message res- 'une civilisa- semble superficiellement. A moins tion évoluée à un point que nous ne pouvons imaginer ne soit capable de déchiffrer ces pensées et ces émotions enregistrées, et d'apprécier notre effort pour les lui faire partager. la croyance au complot, ne faut-il pas se demander si le public, dont les théories du complot sont si proches de celles imaginées par les rationalistes, ne manifeste pas, par là même, son adhésion à la vision rationaliste, << héroïque »>, de la science ?... PIERRE LAGRANGE. (1) Unidentified flying object (UFO), ou objet volant non identifié (ovni) - le terme français ne sera popularisé qu'au cours des années 1970. (2) Jacques Vallée, Le Collège invisible, Albin Michel, Paris, 1975. (3) John Keel, La Prophétie des ombres, Presses du Châtelet, Paris, 2002 (4) Galilée, Actes Sud, Arles, 1986. A lire sur notre site Un article inédit de Pierre Lagrange : « Les soucoupes volantes sont-elles un sous-produit de la guerre froide ? »> www.monde-diplomatique.fr/2009/07/ LAGRANGE/17428 La guerre des mondes n'a pas eu lieu IN 1938, Orson Welles a 23 ans. Metteur en scène de théâtre, il tra- vaille notamment pour la station à de radio CBS. Le 30 octobre, il y met en scène un « bulletin d'informa- tions » basé sur La Guerre des mondes, le roman écrit par Herbert George Wells en 1898, L'émission débute par une série d'annonces évoquant des lumières détec- tées à la surface de Mars par les astro- nomes, puis la chute de météorites sur Terre. Ensuite les flashs d'information se succèdent, révélant que ces météorites sont en fait des vaisseaux martiens; leurs occupants sèment rapidement la mort et la désolation sur leur passage - l'envoyé spécial de CBS sur place sera balayé en direct par le rayon mortel des Martiens après avoir diffusé les cris des premières victimes! Mais l'affaire commence vraiment le lendemain. « Les auditeurs paniqués pren- nent une fiction sur la guerre pour la réa- lité », titre le New York Times; « Une pré- tendue invasion martienne plonge le pays dans la panique », ajoute le Boston Herald. Dans le Massachusetts, le Southbridge News évoque « une panique collective [qui] saisit la ville et le pays à la suite d'une émis- sion de radio sur La Guerre des mondes ». Des milliers d'articles décrivent avec moult détails les tourments d'auditeurs qui, ayant pris au sérieux l'annonce du débarquement martien, auraient tenté de fuir l'envahisseur. Problème : nul n'a jamais trouvé trace des millions d'Américains paniqués par l'émission, ni d'ailleurs des suicidés. Dans les jours qui suivent la diffusion radiophonique, la presse cite quelques auditeurs, toujours les mêmes. Mais, ces témoignages étant repris par tous les journaux, on peut être tenté de croire qu'ils sont des milliers. En 1939, des universitaires conduisent une étude psycho-sociologique sur cent trente- cinq auditeurs, parmi lesquels «, écrit Maurice Bessy dans son Orson Welles (Seghers, 1963). En 1971, l'astro- physicien rationaliste Evry Schatzman explique « L'angoisse des New-Yorkais se trouvait nourrie (...) un point tel (...) que la seule façon d'y échapper, au moins pour quelques-uns d'entre eux, était le suicide. >> Cet échafaudage théorique repose sur la seule histoire, rapportée par le New York Times du 31 octobre 1938, d'une habi- tante de Pittsburgh qui tenta de s'em- poisonner en écoutant la radio - sans succès, son époux l'en ayant empêché. L'INFLATION L'INFLATION dramatique culmine à la mort de Welles, le 10 octobre 1985. « On enregistra quelques trépas cardiaques. La veuve de l'une de ces victimes tenta, quelques années plus tard, d'assassiner Welles », croit savoir Le Figaro Magazine (19 octobre 1985). En octobre 1988, à l'occasion de la publication d'un disque de l'émission, des journalistes tempè- rent leur enthousiasme. « Qu'on se ras- sure, écrit Télérama pas plus de morts, de suicides ni de fausses couches que de Mar- tiens!»(26 octobre 1988) Ce qui n'em- pêche pas Libération d'affirmer deux ans plus tard que « toute l'Amérique était (...) dans la rue pour fuir l'invasion martienne » (20-21 janvier 1990). Au fond, I'« affaire de La Guerre des mondes » et sa légende révèlent d'abord la représentation que les journalistes et, plus largement, les intellectuels se font alors du public. Ainsi, parmi les indices pris en considération pour évaluer l'ampleur de la panique, figure le fait que le nombre d'ap- pels passés par les auditeurs a augmenté de 40% pendant l'émission. Tout d'un coup, la démarche d'Américains téléphonant pour en savoir plus fut analysée comme un comportement irrationnel - alors qu'on aurait tout aussi bien pu l'interpréter comme la preuve d'une démarche ration- nelle visant à vérifier la pertinence des informations. Prenant pour argent comp- tant la description journalistique de la panique de la nuit du 30 octobre 1938, la chroniqueuse du New York Tribune Dorothy Thompson dénonçait « l'incroyable stupi- dité, le manque de sang-froid et l'ignorance de milliers de personnes » (2 novembre 1938). Crédulité populaire ou crédulité savante? La plupart des auteurs n'ont jamais pris la peine de vérifier les « faits » qu'ils rapportaient. Beaucoup se sont contentés de trans- poser sur les auditeurs de CBS les modèles naguère mobilisés pour stigmati- ser la pensée magique des autres peuples, et qui servirent de fondement aux théo- ries psychologiques sur le comportement des foules occidentales, censées incarner l'irrationalité. Face à l'arrivée massive d'immigrants dans les villes à la fin du XIX et au début du XXe siècle, il s'agissait de démarquer ces foules des individus instruits et rationnels. P. L (1) Hadley Cantril, The Invasion from Mars. A Study in the Psychology of Panic, Princeton University Press, 1940 (Cosmos, Mazarine, Paris, 1981, p. 287.) 1951. Traduction française de plusieurs livres sur les extraterrestres. L'astrophysicien français Evry Schatzman les dénonce dans L'Education nationale et La Pensée. Il associe science-fiction, soucoupes volantes et impérialisme américain. 1952. Vague d'observations de soucoupes volantes aux Etats-Unis. Conférence de presse de l'armée de l'air pour calmer l'opinion. 1952-1961. Des groupes d'enquêteurs amateurs se développent et fondent des revues. Aux Etats-Unis : Aerial Phenomena Research Organization (APRO), National Investigations Committee on Aerial Phenomena (Nicap); en France: Groupe d'étude des phénomènes aériens (GEPA), Ouranos, Lumières dans la nuit. 1953. Organisée par la Central Intelligence Agency (CIA) avec des militaires et des scientifiques, une conférence secrète élabore une politique de debunking (« démystification »>) afin de réduire l'intérêt pour les soucoupes. Sortie sur les écrans de La Guerre des mondes, de Byron Haskin. 1954. Vague d'observations de soucoupes volantes en France. Le psychiatre Georges Heuyer fait une communication à l'Académie de médecine sur la «< psychose des soucoupes volantes », 1955. Popularisation de l'expression little green man (« petit homme vert ») à la suite de l'observation de pilotes de soucoupes dans le Kentucky. 1958. Carl Gustav Jung publie Un mythe moderne. 1960. Projet Ozma, premier programme d'écoute de signaux radio extraterrestres. 1961. Robert Heinlein, Stranger in a Strange Land (En terre étrangère), histoire d'un humain qui a grandi sur Mars. Le roman devient la bible du mouvement hippie. 1965. Annonce par l'agence Tass de la détection de signaux extraterrestres par trois radioastronomes soviétiques. La sonde Mariner-4 dévoile le sol de Mars; déception, il n'y a pas de canaux. 1967. Série télévisée « Les envahisseurs », avec Roy Thinnes (David Vincent). 1969. Rapport d'Edward U. Condon, de l'université du Colorado, commandité par l'US Air Force ....... JUNGLET 2009 LE MONDE diplomatique 14 DOSSIER DOSSIER 15 LE MONDE diplomatique-JUILLET 2009 1971 Ma 1971 Lam Le Comme Sho (CNES) francus poble 1973. Ex de la sonde 16embre 1974. Un al des des et emoy depus le radiosidescope &Arecibo en dction de l' globulaim MLX 1977. Deinction d'un saladio e par le rachelpt de T'anemint d'Ohio La CNES le Groupe d'étude des spatx idifies (Gepan) anale (ED) commande des de des Lancement des Soyage-1 at 2, comm drique à l'on des externes dire Lespri &e époque po 13) 1978. Rescompes de tri p de Steven Spielberg, p amet on see la cul alogique w 190 Premer live a l'aire de Rowell, crach d'un objet son ident a Nouveas Mexique en 1947 1982 Commision 51 de l'Uo aque internationala comacte à la recherche d'iilgence 1989-1990, Vigne de mystérieux Delgique 5 novembre 1990, Survel de la Fran par une flomille d'as 1903. Série Milvie X-Files 1995 Film des d'un s'agit d'un grost Decave premiere plane ecrusolaire 1996. Decouverte d'une possible Fone de vie dans un indutorite ALII 54001 1999, Lancement da proye SETIAhome, qui permet e de participer à l'alyse des six radio rec par le radictélescope d'Arecibo. 2004, Vinager-1 est le premier objet con par l'home & sort du Systeme solaire 2007. La CNES publie war Internet les treate des d'archives du Cepan De la science-fiction comme laboratoire métaphysique PAR SERGE LEHMAN LVAUKSICLE exactement parissa, dans la revue Le Specar, un article de l'écran Maurice Renard intitulé Du merveilleux-scientifique et de son action sur l'intelligens da progrès ». Ce texte, qui servit de point de mire à tous les auteurs français d'anticipation de l'atre-deux gres avant d'étre oublid puis redécouvert debut des nées 1990 et ajoud bu considéré coment la premetre thoorie de la wience fiction. Dissiquant l'es- theaque du gente en orain de raite, Remand souligne qu'elle requiert l'introduction volentire, dans la chaine des pro pentions d'in de plusieurs lements sicina de naturs dermine par la i l'apparition de l'ére, ou de l'ab jet, ou du fait merveilles (c'est-d-dire qui nous semble ellement merveilleux Carl'avenir pet démontrer que Flement posé vicer we etait llement et que no merveilles scientifique ut furement et simplement de la setener, molonaire comme la presse de M. Jourdan)) Exemple nous pouvons are comme certinades des Apo selenifiques et en déduire les consequences de Finale de la planète mesa deneignd on supine La Guerre des mondes de H. G. Wellry (1) Considérer comme certaines des hypothèses scientifiques, et en déduire toutes les conséquences NE PASSAGE ne met pas seulement en lumière la charte téraire et intellectuelle d'un genre appelé à s'épa nouit; il souligne aussi le statut ambigu des objets dont la scumce-fiction a fait son ordinaire. Car si mal ne discute pl la vie extraterrestre comme hypothèse de recherche scien tifique c'est le sujet d'una discipline, l'exobiologie-il n'en a pia été de mime tout au long du XX siècle. Contre la logique, cene idbe a été tournée en ridicule, relégube an mang de chimère n'ayant place ni dans la science, ni dara la linérature, alors que toutes les données requises pour l'ap précier correctement étaient déjà disponibles, hormis l'exis ience certifiée de planètes extrasolares. Pour comprendre ce paradoxe, il faut procéder à un asal cinsteinien passet d'une image restreinte de la science-fiction à une formala tion plus générale L'image restreinte est bien connue c'est celle d'un genre né au dibat da XX siècle dans cinq pays (Royaume-Uni, France, Allemagne, Russie, Etats-Unis) à partir d'une poi de a La L operable Des P, 2008, thro née d'auvres fondations signées Edgar Allan Poe, Jales Verne, L-H. Roy aline, Arthur Conan Doyle, Kard Lawitz Herbert George Wells, Konstantine Tokovski et Edgar Rice Burmoghaire l'encadré page 15) Les Britanniques ont créé autour de Wells l'école de la scific romance Remand en a forgi le pendant français en 1909 sous l'appel- lation de merveiling scimique » Et op a'est que dis- sept ans plus and que le premier dar spécialisé américain, Hugo Germback, venat la catégorie commerciale cor respondante, passant entre 1926 et 1929 de scientific etion &scienction pour aboutir à science fiction, qui ne signifie ren d'autre que e fiction scimique Le triomphe de la culture populaire américaine après la seconde guerre mondiale, la décou verts rétrospective des pulp magazines (2) et des premières traductions d'Isaac Asimos, A. Van Vogt et Ray Bradbury (qui ont tou percé entre 1939 at 1945) ant imponé le label de Grmback à l'échelle mondiale, effaçant au passage le souvenir des écoles euro- péennes, ce qui cestitae en soi me énigme historique intéressanto (3) Protégé par les collections spécialisées comme une culture expérimentale mise en couveuse, le genre a progressivement gagné en cobérence tout en se diffisant dans tous les champs de l'expression. Pourtant, il n'a jamais obtenu le satut littéraire que voulait Jui donner Renard spécialement en France, où la critique n'eut, à son égard, que deux attitudes types le mépris et le déni Mais la science-fiction est bien autre chose qu'une étiquette éditoriale. Dans sa forma lation générale, elle représente un phèno- mèna culturel de grande envergure dent les manifestations ont dès l'origine deborde la fiction pour s'étendre à des domaines divers que l'urbanisme, la philosophie, la religion, et tout le spectre des sciences. Pour ec prendre qu'une poignée d'exemples récents les projets futuristes da Grand Paris, les travano des comisés d'éthique sur l'auto- modification de l'homme par manipulations t ce qu'on appelle le « post- humain »- l'envoi de la soode Huygens aut Tiran en 1997 ou l'annonce (fantaisiste) par la secre Rall d'un clonage human res 2002 sont sunt de mises en uvre, cor rectes ou déviantes, de la procédure d'extra- polation décrite plus haut admettre comme certitudes des hypothèses scientifiques, et eo didaire les conséquences. Cene procedure est fiction), ou même le projet reagania de perre des étoiles (4), que des domains infiniment plus Bous, parfois suspects et, dans certains cas, dangereux, comme le spins tims, la quête de l'Adantide, la recherche sur les pouvoirs paraprychiques ou les objers volenta non identifiés (ornis) Deux lignes de démarcation permettent cependant de ne pas perdre dans ces ambiguités. La premiére, visible sur La couverture même des livres, est celle qui sépare la fiction da document. Cette distinction pourtant évidente a fait l'ob jet d'une confusion systématique de la part de la critique non NOW PUBLISHED EVERY MONTH! STARTLING le principe actif de la science-fiction. Elle tradunt une cer tae disposition intellectuelle, un godt pour la pensée spé culative et l'exploration jusqu'aboutiste des hypotheses dent Renard, en poèle, a donné dans son article une autre formulation, moins rigoureuse mais plus frappante L'aventure d'ame scimce poussée jusqu'à la merveille ou de merveille envisagée scientifiquement Le juradose, c'est qu'on peut décrire dans ces termes aussi bien des entreprises rationnelles telles que la conquête spatiale, la construction du réseam Internet (deux chantiers dom les métaphores fondatrices, le vocabulaire, les objec ti et les images mythologiques ont été forgés par la science- وفاء STORIES MAN BATTLES MYTARY DRAGON'S ISLAND By JACK WILALAMSO spécialisée, qui a, trop souvent, tout traité sur un pied d'éga lité (donc tout méprisé) na motif que les sujets étaient les memes. La seconde est celle des résultat. Il y a un siècle, les prétentions du spiritisme a rationnel, la possibilité d'une très ancienne civilisation martienne ou celle de pou voirs parapsychiques constatables en laboratoire a'avae nea de r compte tenu des savoirs et des pratiques de l'époque. Ce n'est plus le cas aujourd'hui même si, dans cer tains cas, il reste des zones d'ombre à éclaircir Alanverse, mal n'envisageait sérieusement d'envoyer des hommes dans l'espace, hormis les pères fondateurs de la science-fiction L'histoire a fait un tri, peut-être provisoire, entre les hypo- thèses ferules et les révenes Sous sa forme resinte, la science-fiction (SF) apparait grand public, comme une variété édi toriale mieure, parfois synonyme de grotesque eu chamerique, qu, un sidele après son apparition, n mérite pas e ligne dans les manuels d'histoire littéraire, contrairement iron policier ou à la bande dessinde Mas, seus sa forme la plan générale, elle a trigal des pans entiers de la culture contemporaine, créé des croyances durables, formulé des projets à l'échelle des civilisations et contribué à leur mise en œuvre, Comment articuler deux plans aussi contradicures? La «< singularité », cette inexorable convergence de toutes les technologies DANS UN ESSAI intitulé Fictions philosophiques et cince-fiction (Actes Sud, 1990), le philosophe Guy Landréan a levé une partie du voile en observant que la S avail au XX siècle, exercé un véritable monopole la mphysique, cesta discipline remme de la pembe occiden tale, autrefois sabe à l'intersection de la science, de la phi losophie, de la religion et de l'art mais considérée, apels Friedrich Nietzsche et Sigmund Freud, comme un sujet clos. Et de fait obsédée par le ciel, toujours soucise de formuler de nouvelles hypothèses sur la nature de l' da temps et de la réalité, hannée par l'immoralité et prodigue en surhomes comme en entités gearses, la science-fiction a été seule, pendant cent ans, à poser ces questions considé recypartout ailleurs comme des archalames. Elle l'a fat sous une forme propre-en proposant une esthétique-et dans use perspective concrète, sachant qu'an jour la technoscience fint par les réactives. Ce qui est précisément en tram de se produire que sont le posthan, le cybermande, le contact avec une civilisa bon extraterestre sinon la reformulation de ces trés anciering questions? Renard le pressentait dès 1909 Le mille-scientifique now decouvre l'opact incommen rable & explorer en dehors de notre bir immédiati digage sans pie de idee de se arrière-pete Il brise notre habinde et nous transpore vir d'autres pents de vue, hors de nous-mêmes Si l'analyse de Lardreau est juste, elle pourrait expli- quer pourquoi la haute culture a refusé de jeter ne serait- ce qu'un coup d'ail aux hypotheses extrémes dévelop pées par la science-fiction elles lus sont apparues comme des régressions, des paralogismes oa, pis, das sujets folkloriques recouverts d'an vernis de scientificé La vie extraterrestre, spécialement theme fétiche da genre pendant près de buit décennies, add ressembler, pour les penseurs de l'Occident postmétaphysique et postchrétien, à un retour par la petite porte des anges et des démons. Ironie de l'histoire, ce thème a fini par rece- voir une qualification scientifique et mobiliser à plein temps des milliers de chercheurs. L'e objet vicina D l'éta allement, et la science-fletion était bien ici de la science involontaire w Ce tournement a pour double conséquence la perte de charge fantasmatique associée un sujet et la relative desaloction dont il souffre aujourd'hui chez les auteurs, lod comme le thème du monde fitur, autre terrain de jea sécu lee que la science passe au tamis de ses vérifications remonce, presque toujours, an contact avec l'altént radicale qui est la promesse de la métaphysique comme de la scimce-Biction Mais le genre a tout de suise compensé déficit par dous contre-mesures. Puisque l'avenir parall bouché, la pensée spéculative se retourne et s'attaque passé en multiples ochronies, c'est-d-dire les histoires alternatives qut explorente ce qui se serait passé R forment sound bate constellation de mondes imag naires a niche que les avenirs galactiques jadis révés par les romanciers de lige d'ar Le Maitre du flant Chite de Philip K. Dick, situé dans un monde hypothétique o l'Aar a gagné la seconde guerre mondiale, et Roma Everna de Robert Silverberg, dont le titre se passe d'élucidation, en sont deux exemples rés La deuxième contre-mere est encore plus spectaculaire puisqu'elle fait de l'uniformité apparente de l'avenir la source d'une nouvelle promesse On la doit à l'auteur d mathématicien Vernor Vinge, qui lai a si donné son nom la singularne ». Elle prévoit la convergence inexo rable de toutes les technologies actuelles dans les pro chaines décennes et l'émergenor, à leur point d'intersec tion, d'une superintelligence artificielle duet l'existence andantit toute pensée prospective quand les fondations mémes de l'humanité telle que nous la connaissons-la mortalité, l'individualiné, ha ftade et la dépendance milieu-sont remises en case, il est vain de conjecturer var le monde ultérieur. Ami, les sciences et technologies, a lieu de taer le futurs par désenchantement, comme elles semblent le faire aujourd'hui, deviennent la matrice d'un événement métaphysique d'une anvergure inonie et ro vrent la possibilité d'une nouvelle aventure pour le genre humain. En France, c'est Michel Houellebecq qui a donné dans Les Particuler élémentaires, l'image la plus comme de cette prophétie Resurgence du thème de la fin des temps on science invo lontaire, appelée encere une fois à se realiser? Prise à la gorge care la prolifération de passes imaginaires et Pan nonce d'une transformation majeure à l'orizon da prochain derni-sidele, notre époque est peut-etre en tram d'élaborer dans la douleur, les linements d'une pensée nouvelle. SERGE LEHMAN (T) Mai Re Le Spartan & Paris 1909 Re fom கூட்டம் O Pour la France, it somer de tes de semen pass(953 drbut des Kopdares) et 1950 Rigs Mac, cbr 1935) pose d cie, ote de peur que Le Mi plju 1999 Non Spa Qund "La G S A droite: affiche beige da fim L'Artoque des Martiens & de William Cameron Menzies, 1953. A gauche ustration d'Earle K Bergey pour un article de Jock Williamson, paru dans Startling Stories juin 1952 C-dess Sur Mars, les andes terrestres perturbent les émisens des tennes frontales des Martiens corte à collectionner L'ATTAQUE DES MARTIENS FROM MARS de la chocolaterie MARS Cantloup, 1950. CARTER FRANZ HUNT Coaleurs VALT AAN Les pères fondateurs NPULIANT, dans la presse méricaine du milieu du XDC siècle, des réc dmapnation ambigu accordant une grande place à la technique et parfois présentés comm des reportages (en particuller Les Averes Arthur Gondon Pym), Edgar Allan Poe (1809. 1849) vence ce qui deviendra par la sute la science-fiction Jules Verne (1820-1905) s'en inspire directement pour sa série des Voyages extraordinaires, qui commence en 1063 Vingt-cinq ans plus tard J-H. Rosey sine (1856- 1940) est la source d'un second courant, plus spre à la spéculation à longue porcie pumqu'il s'intéresse à la fois aux origines de l'être humain et à sa disparition éventuelle. Certe tension un ses récits les plus cons La Guerre du feu (1909) et La Mart de la Terre (1910). Ele caractérise aussi de Herbert George Wells (1866-1946) qui commence explorer le temps Arthur Conan Doyle (1859-1930) créateur de Sherlock Holmes entressera lui si au genre nissant avec des récia as célèbres que La Mande perdu (1912). Mai tres vite, c'est Texploration spatiale qui en devient le chime dominant On le don & Kansantine Tsokoski (1857-1935), qui jeze, à partir de 1897, hes bases de tous fastronautique àver (en particulier la théorie des propulseurs à étages) à travers une série de texces dont quelques-u so de la science-Scion pure L'écrivain et philosophe Kard Lasz (1948-1910) jou un rôle similaire en Allemage avec son roman Aufw Planeten (1895), donx Tinfluence inspirera, dès les années 1930, Hermann Oberth et Werner von Braun dans la conception des premiers missiles, puis du programme spatial moderne de faprès- guerre Aux Etats-Unis Zest le créateur de Tarzen Edgar Rice Burroughs (1875 1950 qui donne Tun de ses premiers grands biros-archetypes dans le cycle e de John Carter (1912-1943) S.L Et Dieu, dans tout cela ? Quels rapports les religions da Levee entretiennent-elles les extraterrestres! Chez les chrétiens. Dans un entretion insule L'extraterrestre, mon frère... publie par l'Oservetore Romano en mai 2008, Joad Gabriel Funes, directeur de fobservatoire du des tres inteligents, créés par Dieu Em plantes, paper de limes à le berté créatrice de Dieu A La jeste astrome aurait pas reçu jesus-Christ car mayeur qui ne peut tre répe Mais ils aurent sürement disposé disant convaincr que la théorie du Big Bang sur les origines du monde la plan crédible scientifiquement Funes emma aanmoins qu'elle avec Texxxtence de Dio Chex les musulmans. La question de l'entence des probleme (1) La Coran more qu'Allah est i Segur des monders (as pure et plateurs passages font reférence à des étre r la terre et dans Ad quad sept ceur et oudant commandement dracenda (Al-Talaq le divorces, 12). Et preaves est is création des ce et de i terre et des deres qu'd yo dséminés, il a en outre le pouvoir de les reuner quand & voudra (As-Sura ela consultation 29). Ou encore Et c'est devant Allah que se prestame lee amsi que les angen que s e les abeilles a 49) Dans le judaisme. Les rabbins different dans leur point de vue. Sur le site Cheela (2), le Ray Die Kahn précise que la question des extraterrestres e n'eiresse pas de ce sujeta Sur le même site, le Ray David Zenou répond: Le Rav Henda Cresam do san bre Or Hashem parie de ceme possbilité de la fogon la plus naturelle (cio y dity plus de six cens on parle de pours mandes parallèles et de tout ce que cela ente, étant non ne faut pas confondre les choses rien que nous pouvons crace ou pas de la The, que nous avons pas le dret de croires A. G. PAR EVELYNE PIEILLER U N JOURNALISTE affublé d'un couper et d'un impermeable en plastique s'approche de Jimi Hendrix Je su du New York Times a lui dit- i Hendrix fui sourit d'un air fatigué, et répond Enchanne Mo je sa de Mart (1) La plaisanterie énonce à sa façon une certaine vérit Pendant la quin- zaine d'années des premières grandes expéditions spatiales, le rock (et apparen tés) rêve de contact » et de plongées intersidérales, vibra entre mysticisme et rigolade, vision intérieure bouleversée et fantais galactique. Rien de franchement surprenant se concentre la le rapport double et duel que les humains de nos occidentales régions entretiennent géné ralement avec les mystères des cieux Mais le rock exagère. Il electrise et amplifie dramatise et ironise. Et les a rencontres du troisième type deviennent aucant de mises en cause ou de mises en bolce du simple Terrien, Cosmicomics (2) Pour tout dire, la musique a tradition- nellement partie liée avec la représentation da cosmos. Les vastes champs de l'espace Rencontres du rock et des mystères du troisième type ont souvent chanté, même si seuls les élus pouvaient espérer en percevoir l'echo sonore. Déjà au Ve siècle avant notre ère, Pythagore affirmait que les astres en rota- tion autour de la Terre immobile jouaient une gamme complète, en harmonie par inventait la musique des spheres w hite qui hanta longtemps les rêveurs. Sensible- ment plus tard, c'est immatérielle, l'ineffa- ble voix des anges qui se déploys dans ces memes zones, il est clair que rien n'était plus flatteur pour les musiciens, ni plus exigeant Quelque chose de l'éternité, une trace de divinité se trouvait en puissance dans la musique. Les sphères harmonieuses et les anges chantant lentement s'estompèrent dans notre imaginaire, la musique demeura Yove royale vers infini Dans les années 1960-1970, le ciel change. Il bourdonne de Spoutnik, Les humains sont prêts à gambader dans les étoiles, les rockers medicant. Que va-c-on chercher que va-t-on trouver dans le Grand Ailleurs L'extraterrestre, celui qu'on nomme en anglais Fallen, rétranger, si proche de l'aliéné, sera-t-il fondamen- talement different de l'espèce sublunaire ou connaitra-t-il lui aussi la mélancolia! En 1969, alors qu'on marche sur la Lune, et qu'avec 2001 rodyssée de respace Stanley Kubrick annonce qu'une nouvelle muta- tion and Thomme, David Bowie invente le Major Tom, un cosmonaute qui préfère ne pas revenir sur Terre, avant de s'incar ner, flamboyant et fragile, en Ziggy Star dust, ce Ziggy poussière d'étoiles, tout en lamé et platform boots rouges, un cercle dore au milieu du from, accompagné de ses araignées de Mars (3). Ziggy est un olen au cuba extraterrestre, rock star et androgyne. Les anges sont devenus sexy et déchirants, l'existence est toujours un Exil, d'où qu'on vienne, resta la consola- tion de la chancer. La mer des étoiles ne mène pas à un monde radicalement nou- veau, mais elle invite à faire disparaitre certaines frontières celles qui séparent la normalité de l'anormalité, la masculin du féminin Ziggy connalt un succés fou droyant. Et une trentaine d'années plus tard, il est toujours le héros-héraut de la différence » blessé et triomphant L'orte paciale permet d'interroger. intrépidement, la place même de Thomme dans Funivers. Di la mou vance hippie subit les atteintes d'une religiosità molle, qui se fixera en clichés Irradiant la niaiserie, clochettes et barons d'encens, odes à l'amour univer sel et au Soleil. On entreprend de « se brancher sur les vibrations cosmiques, notamment par Fusage de drogues hall cinogines. Dès 1967, la comédie musi cale Hair chante fère du Verseau-ah Aquarius-mais, s'il est bien alors ques- tion d'accéder à un niveau supérieur de perception, à une spiritualité plus vaste Boraison de gourous et de sonorités indiennes se conjugue encore à la quite certes floue mais obstinée, d'une éman cipation collective par une culture alter native. Pour que soit donnée forme à la ren- contre espérée du microcosme er du macrocosme, il faudra attendre Tappari- tion des e musiques planantes » au début des années 1970, pour l'essentiel, conco- mitantes d'un certain reflux de l'espé rance politique. Les nouveaux instru ments s'y prêtent des claviers électriques aux pédales d'effets, sous est en place pour les distorsions et harmonies des initiatiques électronique se mêle fréquemment à l'exotisme, et invite à la transe, a fextase, au sens propre du terms, la sortie de soi ». Deja les Bri- tanniques Pink Floyd et Soft Machine valent initié des visions et délires stel- laires, Fimaginaire nouveau offert par les avantures galactiques avait suscité une musique toujours plus libre et aventu reuse. Mais c'est principalement avec des groupes allemands, comme Tangerine Dream, Can que le space rock affirme son identit L'homme, surtout dans sa version regrettablement occidencale, doit entendre Tappel du cosmos, et travailler à se dépren dre de ce qui l'enferme dans son peut ego La musique l'aide à accomplir le voyage, qui conduit à ouverture du e mos a au vertige de la communion astrale. Ce courant, com plexa, diffus, auquel on peut relier nocam ment musique répétitive at certaines Ceuvres du jazz-rock, va connaitre un succès quas planétaire, du moins dans ses manifestations les moins radicales Jean-Michel Jarre et son Oxygène envahis sen les supermarchés. Le cinéma appré ciera également ces sonorités électro- célestes, nappes de synthétiseurs et ondes en boucle (4), qui se dégraderont bient en musique New Age, rock-Yallum Mais Fodyssée de respace suscite aussi de roboratifs témoignages de mau vais esprit. Dans le hard-rock (et appa rences), imagerie et noms de scéne puisent souvent aux sources d'un cosmo kitsch a outrageusement parodique (mais cial, on s'engue parfois dans le sérieux) t des Suédois de Hypocrisy & Falbum Zaid the Omniscient, de Devin Townsend, en passant par UFO et Kiss, entre tant d'an tres. Fales se fait potache ou initiateur desocériques démarches. Dans une autre veine. Finusable Rocky Horror Picture Show qui décline en comédie musicale une ver sion revus et très corrigée de Franken stein, transforme la rencontre du rock avec les mystères de l'espace en célbra tion blagueuse des forces du désir, L'ex- traterrestre est ici un charmant trans- sexuel qui va s'employer, avant d'écre rappelé sur sa planète d'origine, guidar sur les chemins de la libération, sexuelle es autres, un jeune couple d'Américains intégralement moyens, tout en cajolant sa création, un ravissant éphébe. Ce per sonnage nommé Frank N. Furter embrouille les modèles et sime un hau- reux désordre: tous les clichés sont bial- sés, détournés, la rencontre a eu lieu, restent les complications de la vie, y com pris dans Outer Space. Et reste le rock and roll (5). A Tinstar de ces quelques exemples imaginare rock né dans le sillage des fusées et cosmonautes n's gudre fait qu'accantuer certains thèmes présents dans l'air juvénile du temps, porté au questionnement des limites. Mais la musique, la scène qui en natront seront elles, remarquablement singulières et parfois bouleversantes. Car c'est la conviction que homme n'a pas fini d'a complir son humanité qui alors se déploie. Extraterrestres et étoiles sont en nous à la musique de nous faire entendre leur appel à une intime révo lution. Ziggy plays guitar... Al Mabel P EVELING PEILLER. (2) Exposing State Car ) Dvid Bowie Oy Philip The Mar, CA 12 (4)C de s Heavy les appel Ray O En 199 MW Popol Vall, pour is e changt. Dess Tan dery