Rencontre avec... Éric Maillot Science et Inexpliqué: Eric, pouvez-vous nous donner, en quelques mots, une définition de la «zététique » ? Éric Maillot : C'est un « art du doute » utilisé comme un moyen efficace pour vérifier la validité de phénomènes considérés a priori comme extraordinaires. La zététique permet bien souvent de les étudier et de les expliquer simplement en suivant des principes et en utilisant des outils qui ont fait jusqu'ici leurs preuves com- me la méthode scientifique «OHERIC » - Observation, Hypothèses, Expérimenta- tion, Résultats, Interprétation, Conclusion - le principe de parcimonie ou «< rasoir d'Occam», les probabilités, etc. Ce n'est pas une fin en soi, seulement un chemine- ment vers une connaissance objective. L'«ovni »>, en fait un récit d'un événement très souvent perçu de fa- çon fugace, est à la limite du champ de la zététique comme de celui de la scien- ce puisqu'il se prête diffici- lement, par nature, à une expérimentation directe et reproductible, contrairement aux apparitions de fantômes et «poltergeist », liés à un lieu ou à une personne de ma- nière récurrente, aux dons insolites, sourcier, voyant, ou encore à l'astrologie et ses effet censé exister et se véri- fier sur tous les hommes. Toute étude scientifique de la question serait-elle donc vouée à l'échec ? Non ! Les témoignages peu- vent s'analyser grâce à une méthodologie rigoureuse, inspirée des sciences de l'homme et des enquêtes criminelles. Celle-ci consiste SCIENCE ET. INEXPLIQUÉ 30 à reconstituer, autant que possible, le contexte de l'observation afin de réduire au maximum la subjectivité inhérente à un témoignage humain et se rapprocher au mieux des faits bruts. Depuis quand vous inté- ressez-vous aux ovnis, et pour quelle(s) raison(s)? En 1969, étant enfant, j'ai vu un homme marcher sur la Lune. Adolescent, j'ai lu des documents, notamment les Notes Techniques du Gepan, prétendant que les ovnis c'était « du sérieux » et, probablement, des engins extraterrestres explorant notre planète... Et j'ai cru ce que je lisais, sans aucun recul critique! J'ai cherché des informations sur les cas réputés les plus solides ou étranges puis j'ai créé des ba- ses de données sur les effets physiques ou physiologiques associés aux récits d'ovnis. Arrivé à ce stade de ce travail de collecte, ma formation et ma curiosité scientifique m'ont aidé à constater que les ovnis, tels qu'ils étaient médiatisés, n'avaient pas grand-chose à voir avec les faits réels relatés, souvent pas ou mal vérifiés. Alors que je voulais conforter ma croyan- ce favorable à l'«< hypothèse extraterrestre », je suis deve- nu dans les années 1990 de plus en plus sceptique parce que je faisais l'effort de véri- fier les sources ou d'enquêter sur ces témoignages... Que répondez-vous aux personnes qui vous quali- fient de « sceptique dog- matique » ? Je leur réponds deux cho- ses: avant de lire et d'écrire sur les ovnis, elles feraient bien d'apprendre le sens des mots. Selon le Petit La- Éric Maillot est Professeur des écoles. Passionné depuis l'enfance par diverses sciences et techniques (chimie, mi- néralogie, météorologie, astronomie, astronautique,...), sa curiosité l'a attiré vers les phénomènes naturels rares, reconnus ou supposés, puis vers les prétendument phé- nomènes insolites ou paranormaux, surtout ceux appa- remment cautionnés par certains scientifiques. Devenu membre du Comité Nord Est des Groupes Ufologiques (CNEGU) depuis le milieu des années 80, il s'est intéressé activement aux ovnis étant alors convaincu qu'une réa- lité physique crédible, parfois entachée de subjectivité, transparaît dans la majorité des témoignages. Progressi- vement, au fil d'enquêtes in situ et de ses diverses études sur la casuistique ufologique, son approche sceptique et sa culture éclectique lui ont permis d'analyser et d'ex- pliquer des centaines d'observations françaises consi dérées jusqu'alors comme mystérieuses dont quelques grandes affaires d'ovnis, officialisées et largement mé- diatisées. D'abord membre de l'ex Cercle Zététique puis collaborateur du Laboratoire de Zététique (Université de Nice Sophia Antipolis), il publie des articles et études ufo- logiques sceptiques qui l'ont amené à être sollicité par divers médias. Il est aussi membre de la Société d'Astro- nomie Populaire de Toulouse (section météorites). rousse « Les dogmatiques s'opposent aux scepti- ques (pyrrhoniens)»... En- suite, la zététique impose de ne pas croire aux affirmations dogmatiques (fondées sur des doctrines politiques, phi- losophiques ou religieuses) puisque la méthodologie scientifique oblige à accepter que des théories, des hypo- thèses, des modèles puissent être remis en question et réfutés au profit d'autres qui seront vérifiés comme exacts par confrontation aux faits. Comment s'y prendre, alors, dans le cas des ovnis? Lorsque j'étudie un cas, j'en- visage de nombreuses expli- cations possibles par ordre de probabilité en commen- çant par les plus simples et les plus faciles à vérifier. Je ne sais pas à l'avance laquelle sera validée, ni même s'il sera possible de le faire ! Les personnes qui me qualifient de « dogmatique » ont déjà, elles, «la» réponse quel que soit le témoignage et avant même d'analyser leur ovni : il est forcément inconnu de l'homme, il est d'origine ex- traterrestre ou vient du futur ou est la manifestation de «forces divines » (angéliques ou démoniaques). Leur at- tente ou croyance leur dicte souvent la même conclusion et ne souffre aucune vérifi- cation ou questionnement qui s'y opposerait. Un cas mal enquêté, un écho radar ou une trace ici et un ovni là, serviront inexorablement à consolider leurs attentes, leurs croyances, quitte à amalgamer des faits sans lien ou à user d'argument d'autorité avec experts, mili- taire, témoin qualifié, instan- ce officielle, titre scientifique...) Quel est donc votre << dogme >> ? Sans détour : les « principes fondamentaux » de la zété- tique, comme le devoir de fournir des preuves robustes pour parler de faits extraordi- naires... Il faut surtout de la ri- gueur donc des règles d'ana- lyse des faits, des interroga- tions et recoupements qui mènent à des hypothèses vérifiables. Elles sont soit vali- dées soit invalidées, soit vraies ou fausses, non concluantes parfois. C'est une remise en cause constante qui n'existe pas dans un dogme, une croyance, une religion. Je suis un sceptique qui a le dogme... du doute et de la vérification! Dans l'ouvrage « Les Ovnis du Cnes », réalisé avec deux coauteurs, David Rossoni et Éric Dé- guillaume, vous revenez sur certaines enquêtes du Gepan puis du Sepra... Après avoir passé en revue des cas majeurs enquêtés officiellement nous avons mis en lumière de nombreuses erreurs, contradictions, lacu- nes et biais dans l'information diffusée au public à leur sujet. Les rares « pans » de catégorie « D», - dits «< vrais ovniš» ou probables « engins inconnus » - étudiés par les « services ovnis » du Cnes ne résistent donc pas à une critique méthodologique et ne sont pas scientifiquement validés. Entre le discours, of ficiel ou officieux, du Gepan, du Sepra et aujourd'hui en- core du Geipan, et la réalité du contenu des dossiers, il y a plus de croyance et d'at- tentes orientées que de rigu eur scientifique. Chacun peut le vérifier en examinant la pauvreté documentaire des «pans D» actuellement mis en ligne sur le site du Gei- pan. Un paradoxe de plus: la majorité des «< grands » cas mis en avant auprès de la presse ne sont toujours pas accessibles au public... Selon vous, quelles de- vraient-être les méthodes pour étudier le phénomè ne de façon rigoureuse? Pour comprendre un phé- nomène, la science collecte des données, les vérifie, les trie et les classe avant de tenter de les expliquer. Il suffit de consulter les archives en lignes du Geipan pour constater que les ovnis n'ont pas eu droit à cette exigen- ce scientifique ! L'immense majorité des « pans D » en principe «< inexpliqués après étude approfondie » n'a pas fait l'objet d'une simple enquête des services du Cnes! Certains d'entre eux sont même des méprises évidentes, «pans A» ou «B», qui n'ont pas été vé- rifiées. D'autres manquent cruellement d'informations indispensables à toute conclusion valide: ce sont des «pans C», pourtant arbi- trairement classés « D», c'est à dire « inexpliqués après enquête »... Comment - et via quelle structure-pourrait-on mettre de telles métho- des en application? Oh, je ne manque pas de suggestions pour définir des bases de fonctionnement et les moyens nécessaires pour parvenir à une structure efficace, mais il serait trop long de les développer ici. Je doute d'ailleurs que cela in- téresse le Cnes ou le comité de pilotage, présidé par Yves Sillard, de les connaître. Expliquez-vous ! L'attitude du responsable du Geipan, qui a refusé qu'un zététicien « ufologue » soit simplement audité devant le comité de pilotage, alors que des tenants des thèses exotiques ou complotistes y sont entendus, semble mon- trer que l'ouverture d'esprit et une approche scientifique efficace ne sont pas les priori- tés de ce service. Que faire alors? Tant qu'il n'y aura pas de regard critique possible sur les dossiers ovnis, il n'y aura pas d'approche scientifique. Tant qu'il n'y aura pas de volonté d'évaluation lucide et d'exploitation objective des trente années d'archives disponibles, il n'y aura aucun espoir de progrès. L'anony- mat des témoignages d'ovnis imposé par la loi sur les pro- cès-verbaux de gendarmerie empêche toute contre-en- quête et vérification: on ne fera pas de science ainsi. Le Geipan, qui appelle dé- sormais aux témoignages spontanés hors gendarmerie, commet encore l'erreur, dans ses formulaires, d'inciter for- tement à l'anonymat au lieu de le proposer... Croire qu'un réseau d'information parallèle du type « astronomes ama- teurs » ou une qu'une modé- lisation visuelle informatisée permettra une collecte plus fiable des données que celles obtenues en trois décennies par la gendarmerie, ou aidera à avancer sur le phénomène, n'est qu'une illusion : le seul responsable du Geipan ne pourra traiter avec rigueur un surcroît d'information. Cela ne fera qu'augmenter artificielle- ment le nombre de cas et les faux «pans D». Quantité ne vaut pas qualité en science. Les cas d'ovnis français se résumeraient tous, selon vous, à des méprises avec des phénomènes ou des objets naturels... Éric Maillot Tous ceux qui restent inexpli- qués - et il y en aura toujours - le sont à cause d'un man- que d'informations ou de vé- rifications souvent impossibles à obtenir par la suite. La majo- rité des cas s'explique par des méprises, simples ou comple- xes, faites en toute bonne foi par des gens normaux, une minorité, souvent les plus étranges, par des canulars ou des raisons psychopathologi- que. Une chose est certaine : si un jour un engin extrater- restre s'est réellement posé en France, il restera noyé et perdu à jamais dans la masse des cas très banals dits « pans D» archivés par le Geipan. Finalement, quel bilan tirer de tout cela? Au bout de trente ans de budget alloué aux divers ser- vices ovnis du Cnes, le bilan est similaire à celui de la com- munauté des « ufologues >> bénévoles et amateurs: aucun phénomène nouveau utilisable par la communauté scientifique n'a été mis en évidence. Quelle est votre convic- tion personnelle sur l'ori- gine des ovnis? Il existe à leur source des objets terrestres et d'autres indubitablement extraterres- tres ! Ces derniers, parado- xalement les plus aisément identifiables - les météores et bolides, la Lune, Vénus, Jupiter, Mars - ne sont même pas reconnus com- me tels par des « experts », officiels ou amateurs, qui se prétendent capables d'iden- tifier des engins propulsés extraterrestres... L'origine des ovnis est d'abord à chercher dans l'homme qui les perçoit puis les relate puisque aucun objet - frag- ment - physique inconnu n'a jamais été apporté de- vant des scientifiques pour être finalement reconnu comme exotique ou non humain. Et les enregistrements à l'aide de capteurs com- me les radars, photogra- phies, vidéos, audio? Quand ils ne sont pas de purs trucages, ils s'expli- quent souvent et notam- ment par les limites de fiabilité technologiques des appareils utilisés. Comme les témoins, ces capteurs ne sont pas parfaits. Même les fameuses « traces au sol» ne constituent pas une preuve consensuelle dès que l'on examine leur contexte réel sous un angle sceptique. Une seule certitude donc : les témoignages d'ovnis sont, de facto, uniquement des récits construits par le cer- veau humain à partir de sa perception de stimuli très divers, rares ou communs, simples ou complexes, mais souvent réels et matériels. On ne peut donc les ap- préhender avec sérieux qu'avec beaucoup de rigueur, au cas par cas, sans systématisation à l'en- semble des ovnis relatés. Le vrai mystère des ovnis me semble résider dans un paradoxe: on ne trouve qu'une maigre investigation scientifique et faible docu- mentation sérieuse permet- tant de comprendre ce qui constitue avec certitude, et de l'avis de tous, le plus gros pourcentage du phé- nomène : les méprises avec maints phénomènes et ob- jets déjà connus. Comment alors s'étonner de ne pas pouvoir expliquer ce petit pourcentage résiduel des «pans D», apparemment « plus résistant » à notre compréhension?... -no1 janvier-fémèr 2008 ☐ SCIENCE ET INEXPLIQUÉ 31