Minute 27 juillet 1967 LA FOLLE NUIT DES SOUCOUPES VOLANTES Eh oui ! Les boules de feu multicolores comme des lampions, les cigares argentés, les engins crachant des flammes, remarqués par des milliers d'observa- leurs, ce n'étaient que les restes d'un vulgaire satellite soviétique, le Cosmos 169» désintégré. Un sale coup pour notre grande presse quotidienne qui, à peine les mystérieux engins détectés, avait toute la gomme, faisant autant d'étincelles que tous les MOC (Mystérieux Objets Célestes) réunis. C'était à qui enfon- cerait l'autre dans le sensationnel, le merveilleux et le stupéfiant. Oyez plutôt, comme dirait Antoine :Au Parisien Libéré, c'était l'alerte. On mobilisait les populations. ÇA DOIT ETRE ici « Observez le ciel ! (Oui, mon général). Elles (les sou- coupes) peuvent se manifester encore (inquiétant). Pour percer le mystère, envoyez-nous vos témoignages ! affirmait-il. Allez douter après cela. Hélas ! Terminé pour les soucoupes volantes ! Eva- nouis les Martiens, les mystérieux objets venus du ciel, les extra- terrestres et tout le bric-à-brac de la science-fiction ! "Cette fois, c'est sérieux", disaient les journaux. On attendait les extra-terrestres mais nos radars n'avaient rien vu... du navire laboratoire Henri Poincaré» qui croise sur la côte des Landes. Or il se trouve que le « savant > publie un petit bulle- < Lumières dans la nuit », que MINUTE a pu se procurer, grâce à ses liaisons secrètes avec les « extra-ter- restres ». Et nous avons été éblouis par ces « lumières ». En cinq minutes de lecture nous avons appris, en effet : 1° Que le Christ est né le 21 aout, à midi, de l'an 7 de notre ère (précis, non ?). Qu'il s'est entretenu avec les de philosophes d'Athènes, Rome et d'Alexandrie, et qu'il a eu un petit bout de conver- sation avec Tibère; Univers 2° Que notre compte 3.840.101 planètes ha- bitées, pas une de plus, pas une de moins. C'est vous dire si nous allons avoir de la visite ! A l'Aurore, on travaillait la soucoupe dans le style réfé- rendum: « Croyez-vous ou non aux soucoupes volantes ? Oui ? Non? Entourez d'un cercle votre réponse. » Avec spécialistes avec Le plus mal inspiré, c'est sans doute ce pauvre vieux Lazareff. Lui, figurez-vous, a eu la piètre idée de lancer une grande enquête sur l'his- toire des soucoupes,spécialiste américain à la clé, et des tas d'« à suivre » pour le lecteur. Un fameux bide, depuis que la soucoupe s'est, si l'on peut dire, dégonflée, Pierrot devait être dans la Lune. A Paris-Jour, une manchette à la une priait le lecteur de ne pas rigoler : Assez plaisanté sur ce sujet grave. Nos chers confrères ont tout de même quelques excuses. Car ce 19 juillet, jour historique où les soucoupes, à Les soucoupes, cette fois, défaut d'envahir le ciel, ont s'était c'est sérieux. Suivait une occupé la Une, il ne preuve (sic): un appel rien passé. Ou presque... lancé par l'Observatoire de Meudon. A vrai dire, l'Obser- Johnson préparait des névatoire se contentait prudem- gociations à Hanol. On était ment d'émettre la supposition menacé d'une grève pour le 1 août et d'un discours du que toute cette histoire se ramenait à la désintégration Grand pour le 10. Le maré d'un satellite. Mais, en page 5, chal brésilien Castello Branco Paris-Jour faisait parler un s'était tué en avion. Boumedienne et Aref revenaient de e savant », et ce brave homme était catégorique : « Ce sont Moscou, Et il y avait toujour des vols dans la région pari- sienne... mais bah I Broutille tout cela ! Les basses eaux ! Les vaches mai gres! Alors, en avant les Martiens 1 Donc, bien des excuses pour nos confrères. Mais haro sur nos radars. Le nez de Cyrano Figurez-vous, en effet, que pour ce qui est des radars, nous sommes formidablement installations équipés. Les d'Orly et de Mont-de-Marsan LIETU sont, parait-il, mondialement réputées. Elles permettent le repérage sur 3.000 km de dis- tance et à des centaines de kilomètres en hauteur. D'une précision inouie, ces radars ne confondraient pas l'écho d'un objet dans le ciel avec un simple vol de canards. Des radars, bonnes gens, c'est fou ce qu'on en al Le radar Aquitaine », mis en service en 1906, et destiné à suivre les satellites et les fusées de l'espace, Et son suc- cesseur, le Béarn », « cham- pion du monde pour le tra- vail spatial, embarqué à bord Et le Cyrano », qui équipe nos Mirage 111, et qui a un ner universellement réputé. Et notre centre de Taverny, relié à buit centres de contrôle, relié aux radars de PO.T.A.N., relié à nos bons petits aviateurs des Mirage iv « grâce à d'étonnants ro- bots et calculateurs », Eh bien ! Ce n'est vraiment pas de chance. Et comme on est Français avant tout, on a honte à vous le dire tout ce formidable réseau tendu à travers le ciel par notre Défense nationale n'a pas été fichu de repérer et d'identifier la plus petite bribe du « Cosmos 169 » dont des milliers de gens ont vu briller l'éclat tout bonnement avec leurs yeux. Il y a de la trahison, la-dessous ! A peine le général est-il monté sur le « Colbert», que ses radars se mettent en grève. Ca nous promet de belles réjouissances pour le jour où une fusée intercontinentale viendra faire un petit tour dans notre ciel. A la prochaine En pareil cas, maintenant que vous avez pu mesurer l'exacte valeur de notre sys- tème de détection, MINUTE vous recommande de garder à tout prix votre sang-froid, et de respecter nos consignes : 1) Observez bien (une paire de jumelles fera l'affaire) la position de l'engin, sa vitesse, sa trajectoire, s'il vient de la gauche ou de la droite 2) Téléphones aussitôt le résultat de vos observations à France-Soir ; 3) N'appelez sous aucun prétexte l'Elysée, où l'on ne s'occupe que de choses sérieuses, comme l'Ordre du Mérite, par exemple; 4) Très important: Faites votre prière. Ou appeles les Martiens à votre secours.