Une masse grisâtre haletait c'était un Martien ! « Le Martien - selon Wells- ressemblait à une pieuvre. Nous en avons fait un crabe, à l'oeil cyclopéen et aux bras-tentacules terminés par des ventouses.» C'est ainsi que M. George Pal, producteur de la Paramount, présente le monstre martien, en technicolor s'il vous plaît, tel qu'il nous apparaît dans « La Guerre des Mondes », ce film tiré d'une des plus extraordinaires oeuvres de H.G. Wells. Mais voici comment ce dernier s'était repré- senté les Martiens : « Ils étaient formés d'un grand corps rond, ou plutôt d'une grande tête ronde d'environ quatre pieds de diamètre et pourvue d'une figure. Cette face n'avait pas de narines, mais possédait deux grands yeux sombres, immédiatement au-dessous des- quels se trouvait un bec cartilagineux. En groupe, autour de la bouche, seize tentacules minces, presque des lanières, étaient disposées en faisceaux. » Voilà nos ennemis imaginaires. LES M L y a une cinquantaine d'années pa- raissait en Angleterre un livre étrange qui racontait comment les habitants de la planète Mars, arrivés sur notre terre à bord de « soucoupes volantes > tentaient de réduire l'Angleterre en esclavage. Ce roman avait pour titre « La Guerre des Mondes (1) et son auteur était un jeune hom- me blond au regard doux, qui avait la particularité d'être à la fois naïf et génial et qui s'appelait Her- bert-George Wells. Wells, le maitre, on pourrait même dire l'inven- teur du roman d'anticipation que l'on appelle au- jourd'hui« science-fiction >, mot nouveau pour désigner une vieille chose - Wells allait connaître un extraordinaire succès. Les hommes adorent jouer à avoir peur et il savait si bien doser l'an- goisse, l'inquiétude, l'épouvante! Selon une techni- que que Marcel Aymé devait reprendre plus tard, Wells projetait dans un décor familier les person- nages les plus fantastiques. Par exemple, dans la Guerre des mondes, l'auteur racontait, d'un ton bonhomme, qu'il était à sa table de travail lorsque le premier engin, la « chose» comme il dit, tomba sur la lande, aux environs de Londres « quelque part entre Horsell, Ottershaw et Woking. Il y cou- rut et, après avoir franchi un léger incendie de bruyères, il vit, à demi enterré dans le sable, au milieu de fragments de sapins qu'il avait écrasés dans sa chute, un cylindre énorme, de vingt à trente mètres de diamètre. Le sommet se mit à se dévisser, bascula bientôt et de l'office béant « une grosse masse grisâtre et ronde, de la dimension d'un ours, s'éleva lentement et péniblement... Au moment où elle parut en pleine lumière, elle eut des reflets de cuir mouillé. Deux grands yeux sombres regar- daient fixement. L'ensemble de la masse était rond et possédait pour ainsi dire une face : il y avait- sous les yeux une bouche dont les bords sans lèvres tremblotaient, s'agitaient et laissaient échapper une sorte de salive. Le corps palpitait et haletait convulsivement. Un appendice tentaculaire, long et mou, agrippa le bord du cylindre et un autre se balança en l'air. » Roman de moraliste Naturellement, les lecteurs suivirent avec un inté-. rêt passionné le déroulement de la conquête de l'Angleterre par ces monstres interplanétaires. Peu d'entre eux furent sensibles à l'idée secrète de l'au- teur qui avait voulu, au fond, écrire un pamphlet contre la spécialisation à outrance et la dictature de l'intelligence. Quelques lignes, discrètement étouffées par l'affabulation romanesque, sont pour- tant révélatrices, puisque on peut lire ceci : « Il est à mon avis absolument admissible que les Mar- tiens puissent descendre d'êtres assez semblables à nous, par suite d'un développement graduel du cer- veau et des mains au dépens du reste du corps. Sans le corps, le cerveau deviendrait naturellement une intelligence plus égoïste, ne possédant plus rien du substratum émotionnel de l'être humain ». Si on veut bien ne pas trop sourire à ce jargon pseudo-philosophique, on découvre la pensée ca- chée de l'auteur qui est aussi un cri d'alarme: la civilisation moderne, en développant exagéré ment l'intelligence humaine, fait oublier les réalités naturelles, sans la connaissance desquelles l'hom me n'est plus qu'un monstre. Si ce message» ne toucha guère les centaines de milliers de lecteurs de la Guerre des mon- des » ce livre fut traduit en dix-sept langues- il est à peu près certain qu'il n'intéressa pas davan- tage les cinéastes américains qui l'an dernier, en tirèrent un film que l'on pourra voir bientôt à Paris. Seules les vertus d'imagination ont retenu leur attention et ils n'ont pas hésité à dépenser deux millions de dollars, soit plus d'un demi-mil- liard de francs, pour essayer de rendre par l'image le « climat » de terreur que H.-G. Wells avait su créer avec des mots. Et ce budget fabuleux prend toute sa signification lorsqu'on sait que le prix de revient moyen d'un film d'anticipation dépasse à peine le quart de cette somme: Destination Lune », par exemple, n'est revenu qu'à 586.000 dollars. Ces chiffres témoignent au moins du sérieux avec lequel Hollywood a mené son affaire et M. Geor- ge Pal, producteur de la Paramount, déclarait lors de la sortie américaine du film :: - Cela fait vir -six ans que nous pensons réa- liser la « Guerre des Mondes ». Nous avions acheté les droits d'adaptation en 1927. Mais jusqu'ici l'au- dace nous avait manqué pour une telle entreprise. (1) Editions du Merewre de France. ARTIENS ARRIVENT Herbert-George Wells a été un des écrivains anglais les plus étranges et les plus originaux qu'ait produits la littérature anglo-saxonne. Socialiste utopiste, il rêva d'un monde où la science aurait été poussée jusqu'à ses plus extrêmes limites. Maitre de ce qu'on a appelé depuis la «science fiction », le cinéma devait puiser très largement dans son œuvre... Voici comment H.G. Wells « voyait il y a 50 ans les « soucoupes volantes que les Martiens employaient pour arriver en Angleterre ». On les vit passer, dans le petit matin, lignes de flamme allant vers l'Est, très haut dans l'atmosphère. Des centaines de gens durent les prendre pour des étoiles filantes. Ces étoiles apportaient la mort. Dès le début du tournage, les difficultés affluè- rent. Plus de six mois furent nécessaires à la mise au point des truquages. Les techniciens « séchè- rent longtemps sur la construction et la mise en marche des engins projetés par la planète Mars. En les décrivant Wells décrivait les soucoupes volantes un demi-siècle avant leur apparition mais il avait imaginé un moyen de propulsion mécani- que. Les ingénieurs américains, obligés de compter avec les progrès de la science qui, en cinquante ans, ont dépassé les plus extravagantes prophéties du visionnaire, transformèrent cette énergie mécani- que en énergie électrique. Les instruments de guerre des Martiens furent construits en cuivre. Wells les avait dépeints com- me d'immenses tabourets, avançant sur leurs trois pieds par un mouvement de rotation extrêmement vif, à la vitesse d'un express. Ces machines - pré- figuration des tanks - mesuraient trente mètres de long. Elles auront ces dimensions à l'écran. Les soucoupes elles, ne ressemblent que d'assez loin à la chose» inventée par Wells. Ce sont des objets plats, semi-circulaires, possédant un cou de cobra. scrutateur sorte d'œil électronique - ressem- blant à une caméra de télévision et un lance- flammes. Wells avait situé l'action de son roman dans la campagne londonienne. Les Martiens, après avoir détruit les pièces d'artillerie qui leur étaient oppo- sées, grâce à leur « Rayon de la Mort » et nettoyé pénétraient dans la capitale anglaise, qu'une pani- que furieuse avait vidée de ses six millions d'habi- tants. Le film, lui, se déroule en Californie « parce que toutes les histoires de soucoupes volantes ont émané de cette partie des Etats-Unis », a dit M. Pal, qui a ajouté en souriant: «En outre, il n'y avait aucune raison péremptoire pour que l'invasion mar- tienne n'ait pas eu lieu, justement, en Californie. > Ce curieux raisonnement - qui devrait permettre, dans un proche avenir, de faire mourir le Christ dans le Nevada ou de situer Waterloo dans le Connecticut -nous prive des savoureuses peintures de la tranquille Angleterre en proie à la terreur. On peut le regretter. Enfin, par le document ci-contre, on voit que les cinéastes américains ont créé un Martien à leur image, si j'ose m'exprimer ainsi, et non à celle qu'avait tracée H.-G. Wells. Mais, crabe ou pieuvre, l'effet est hallucinant, surtout quand on sait que ces citoyens méprisent la gastronomie et ne connaissent qu'un seul et unique plat : le sang des hommes, comme vous ou moi. D'ailleurs, M. George Pal, a résolu, une fois pour toutes, le problème de la fidélité que le cinéma doit - ou ne doit pas - respecter à l'endroit des ceuvres littéraires qu'il en- tend imager, en déclarant : - Je suis sûr que si j'avais la possibilité de re- monter en arrière la machine du temps, de revenir à l'époque où Wells fit son roman et d'en discuter avec lui, il aurait approuvé les changements que j'y ai apportés. Peut-être, par contre, ne serait-il pas aussi satisfait de la partie romancée que j'ai intro- duite dans le film. Mais une histoire d'amour entre un jeune homme et une jeune fille ne fait de mal à personne et plait toujours aux spectateurs-même dans une oeuvre de science-fiction. Souhaitons done aux Français beaucoup de plai- sir à ce monument d'épouvante tempéré par l'amour, mais souhaitons aussi qu'ils n'oublient pas tout à fait le message de Wells: à savoir que l'hom- me doit moins redouter le Martien que lui-même. F. B. Le premier de ces films fut réalisé en 1933. Il fut projeté en France sous le titre « L'ile du docteur Moreau >. Charles Laughton en était la vedette avec une femme panthère, produit de la vivisection. Deuxième film: « L'Homme invisible» (1934). Pen- dant une heure vingt le grand acteur anglais Claude Rains n'apparaissait que couvert de bandelettes. Ce film annonça l'arrivée des fantômes au cinéma. INIT En 1938, Alexandre Korda et W.C. Menzies réali- saient « La Vie future ». Un monde imaginaire, où les visions politiques de H.G. Wells rejoignaient son délire scientiste, apparaissait à l'écran. LA CHASSE AUX PROTOTYPES SEMAINE AUTO-JOURNAL DU MONDE ROBERT LAMOUREUX : "J'abandonne la mamère forte" N° 67 CONTRE CITROEN SEMAINE DU 19 AU 25 FÉVRIER 1954 N S-Tunisie-Algérie 60 fr. Maroc 65 fr. Canada 20 cts 10 fr. belges 90 c. suisses 50 fr.