SEMAINE DU MONDE N°30 SEMAINE DU 30 MAI AU 5 JUIN 1953 • D'APRES UN SPECIALISTE allemand des ar- mes téléguidées, les Russes auraient mis au point des soucoupes volantes et effectueraient de nom- breux essais dans l'île de Novaja-Semlja, lançant leurs engins au-dessus de la Norvège et de la Suède. UN SAVANT UNE SOUCOUPE savant soviétique, l'astro- physicien M. B. Liapounov, une certaine émotion vient de soulever chez ses col- lègues de l'Académie des sciences de Moscou : il leur a présenté, avec nombre d'arguments dont certains sont à tout le moins séduisants, une explication nouvelle d'un phénomène considéré jusqu'ici comme une des plus grandes catastrophes naturelles survenues sur notre globe. Voilà quarante-cinq ans presque jour pour jour, un élément inconnu tombait du ciel dans la région de Podkamennaïa Toungousska, écrasait quatre-vingts millions d'arbres et ne laissait à la surface du sol aucun vestige appréciable. Les astronomes du début du siècle cherchèrent en vain une explication satisfaisante à cet étrange phé- nomène. Le professeur Liapounov s'est efforcé d'abord, en enquêtant auprès des vieux ha- bitants de la région, de reconstituer les faits. A l'aube du 30 juin 1908, un bolide de dimensions énormes apparut dans le ciel de la Sibérie centrale. Il était de forme cylindrique et ressemblait à une gigantesque navette. Ce qu'on peut appeler l'avant était plus arrondi que ne l'était l'arrière, qui se terminait en fuseau. Dans son sillage, on voyait tourbillonner des flammes, des fumées incandescentes, des paillettes qui étincelaient dans l'air léger du petit matin. Il venait du sud-est et se dirigeait vers le nord-ouest. Soit que sa vitesse diminuât, soit pour d'autres raisons demeurées ignorées, son altitude déclinait rapidement. Il disparut à l'horizon et cessa de survoler les régions habitées. Sous lui, c'était maintenant la « taïga » sibérienne, couverte de marécages et d'arbres nains, où seuls vivaient des troupeaux de rennes. Soudain,une explosion formidable ébranla l'air. LAC TCHEKO DU SUD ANDRES ABATTUS ARBRES RESTES DEBOUT TRONCS D'ARBRES ARISES MAIS RESTES DEBOUT MARÉCAGES TOURBIERES le sol de la Sainte-Russie: le bolide avait rencontré la terre. La violence du choc fut telle que toutes les stations sismographiques du monde l'enregistrérent. Le tonnerre de la déflagration, ou plus exactement, les coups de ce tonnerre qui ressemblaient à ceux d'une canonnade, furent entendus à plus de 1.000 kilomètres du point de chute. A 600 kilometres, hommes et bétes furent renversés au sol, des rivières sortirent de leur lit, noyant des troupeaux. A 200 kilomètres, des paysans tombèrent en syncope Une colonne de flammes et de métaux en fusion monta à 20.000 mètres de ham- teur. Sa chaleur fut ressentie à 85 kilomètres. L'onde atmosphérique, produite par l'écrasement de ce bolide, tourna pendant cent heures autour de la terre. Des savants calculèrent que ce que l'on croyait être alors un aérolithe géant devait peser 50.000 ton- nes disaient les uns, un demi-million de tonnes, estimaient les autres, et que la ren- contre avait eu lieu à la vitesse de plusieurs dizaines de milliers de, kilomètres à l'heure! REGION DE LA CHUTE DU METEORITE DE TOUNGOUSSKA. D'apres E. KriNov Pendant plusieurs nuits de suite, le ciel fut éclairé d'une étrange lumière. Des popes annoncèrent la fin du monde, tant son éclat était irréel. Des nuages illuminés de l'intérieur » flottaient à 80.000 mètres au-dessus de la terre. Les nuits étaient si claires qu'on pouvait lire et prendre des photographies même sur les bords de l'océan Atlantique. Cette clarté nocturne était d'ailleurs si intense qu'elle génait les observations astronomiques. Enfin, on ob- serva partout et pendant tout l'été des aurores longues et très claires. A partir de juillet, il se produisit un assombrissement général de l'atmosphère dans tout l'hémisphère occidental Cet assombrissement dura un mois et demi. I fut attribué par les savants aux poussières extrêmement fines provenant de la pul- vérisation >> totale de la masse du météore. Les russes AFFIRMEnt QU'EN 1908 A PERCUTE LA TERRE mativement la quantité de poussière météo la luminosité d'un continent, on arriva au rique qu'il fallait pour modifier à ce point chiffre fabuleux de plusieurs millions de tonnes. Ce qui était un non-sens, car plusieurs millions de tonnes de poussière mé- raient demandé plus d'un mois et demi pour téorique, en suspens dans l'atmosphère, au- se dissiper. On l'avait bien vu en 1883, lors de l'éruption du Perbuatan, un volcan de Tile de Krakatoa (Malaisie hollandaise). Une poussière constituée par la pulvérisation des matières expulsées par le volcan s'était maintenue en l'air, à une hauteur de 8 à 24 kilomètres, et ce pendant plus de cinq ans. Cette remarque incitait à penser que le bolide qui avait percuté la taiga », à Podkamennaïa-Toungousska n'était pas un météore pierreux, mais un aérolithe d'une nature inconnue. Depuis le jour où, dans la lointaine taïga sibérienne, prit fin le voyage du « vaga- bond de l'espace, un marais tourbeux s'est formé à la place même de sa chute et les arbres qui restent encore debout tout dépouillés de leurs branches et de leur écorce calcinée sont recouverts d'une nouvelle et jeune végétation qui cache presque entière- ment les dernières aces de la catastrophe. De celle-ci, il ne reste plus que des milliers d'arbres déracinés, pourrissant sous les vents et les pluies, quelques photos, et les témoignages de ceux qui y assistèrent ily a près d'un demi-siècle. Les lieux de la chute du météorite de la Toungousska ne furent explorés qu'en 1927, c'est-à-dire dix-neuf ans après, par l'expédition du professeur L. Koulik. Et voici les résultats de cette exploration : Là où se dressait jadis une épaisse taiga impénétrable, l'expédition trouva des mil- liers de troncs d'arbres calcinés, complètement dépouillés de leurs branches et de leur écorce. Toute cette région portait principalement des traces de calcination et non d'incendie. A l'endroit présumé de la chute du météorite, le sol était jonché d'arbres abattus disposés en < éventail autour d'un marais de 10 kilomètres de diamètre. De semblables « éventails> (où toutes les racines des arbres se trouvent dirigées vers un centre le point présumé de la chute du bolide) n'avaient encore jamais été ob- servés après la chute d'un météore. Ceci représentait un fait unique dans l'astro- physique. Tout le long du trajet du vol de l'aérolithe, la forêt était également jonchée d'ar- bres déracinés sur une longueur totale de plusieurs dizaines de kilomètres. Et chose curieuse, les cimes de tous ces arbres couchés étaient dirigées vers le sud-est, c'est-à- dire dans la direction opposée à celle du vol du météorite. Un autre fait curieux constaté par l'expédition a été la présence, au milieu de cet indescriptible chaos d'arbres abattus, de troncs d'arbres calcinés et dénudés de toutes leurs branches, mais restés debout tels des poteaux télégraphiques Koulik observa aussi des surfaces de la forêt, souvent assez importantes, entièrement intactes. On eut dit que le souffle de la déflagration ne s'était abattu sur la forêt qu'en certains endroits seulement. Un tel comportement du souffle explosif est tout à fait anormal. Comme nous l'avons dit, toute la région de la forêt abattue s'étend du sud-est au nord-ouest, c'est-à-dire dans la direction du vol du météorite avant sa chute. Or. l'endroit de sa chute, qui aurait dû se trouver normalement au centre de cette région, se trouve, comme l'indique « l'éventail », à la pointe extrême nord-ouest de cette région. Ce fait n'a jamais pu être expliqué par les savants qui commentèrent passionnément ces explications Enfin, l'une des plus grandes énigmes du météorite de la Toungousska qui est la suivantes eler des traces de ce météorite. et encore une fois ce fut un echec. Pas le moindre < grain> du météore. région de la chute du bolide plusieurs dit l'expédition de Koulik découvrit dans la zaines d'entonnoirs (cratères) causés certainement par les débris du météore. On fouilla l'un d'eux dans l'espoir d'y découvrir quelques éclats, mais, malgré les re- cherches minutieuses on n'y trouva rien. L'année suivante une autre expédition patronnée par l'Académie des Sciences se rendit sur les lieux avec un détecteur électro-magnétique ultra sensible dans l'espoir de détecter des débris à haute teneur métallique, comme il est fréquent dans les météorites. Mais ce fut encore sans succès. Un an après, une troisième expédition,munie de tout le matériel nécessaire aux travaux de forage, tenta à son tour de déOn se trouvait devant cette énigme : qu'était-il advenu du météorite? On pourrait évidemment se poser la question : le météorite n'était-il pas de nature pierreuse plutôt que métallique ? Ce- pendant les météores pierreux ne sont jamais de grandes dimensions et si méme celui-ci eut été de taille exceptionnelle au moment de sa chute, ses éclats se seraient dispersés exactement comme cela se produit avec les météores métalliques. Des dé- bris les auraient signalés. Ainsi un météore géant a frappé la terre et s'est volatilisé. Telle est l'histoire du fameux bolide sibérien. Voici maintenant la version surprenante proposée par le professeur Liapounov. Es- sayons maintenant, dit-il, de renoncer à lidée du météore et considérons ces faits incompréhensibles à la lumière d'une nouvelle hypothèse. Imaginons qu'il s'agissait d'un navire cosmique. D'où venait-il. comment était-il construit, qui étaient ses passagers, que lui arriva-t-il au cours de son vol? Cela nous l'ignorons. La Terre sur laquelle arrivèrent les voyageurs interplanétaires, possède quantité de terrains convenant à l'atterrissage d'une telle fusée. Mais, pour s'y poser en toute sécurité, il leur fallait d'abord réduire la vitesse de leur engin sous peine d'être brü- lés par frottement dans l'atmosphère. C'est pourquoi ils commencèrent à décrire des ellipses autour de la Terre en utilisant pour ralentir la résistance de l'atmosphère. Ils avaient probablement des moteurs endommagés par une avarie quelconque, et ce ne fut que tout de suite avant l'atterrissage qu'ils réussirent à les réparer. Ces moteurs étaient des moteurs à réaction. Comment ils étaient construits, nous ne le savons pas, mais ils fonctionnaient probablement sur le principe de la désagré- gation de la matière. Avant d'atterrir. les explorateurs de l'espace, devaient choisir un terrain de grande surface et nettement visible. Ce furent les étendues de la Mongolie, plates, dépourvues de forêts, et comme préparées exprès pour recevoir le navire cosmique, qui attirèrent tout d'abord leur attention: le fait qu'ils tombèrent dans la taiga et non dans les steppes mongoles peut être expliqué par le mauvais fonctionnement de leurs appareils de commande. Peut-être aussi furent-ils contraints pour une raison inconnue à risquer un atterris- sage prématuré. Par suite de la grande vitesse du vol et le frottement de l'air, la coque du navire s'échauffa à blanc. Ils essayèrent de freiner leur chute en utilisant leurs réacteurs, mais ceux-ci ne marchaient que par à-coups. Voilà pourquoi on entendit le bruit de coups espaces rappelant celui de la canon- nade. C'est ainsi qu'en perdant de la vitesse, ils arrivèrent dans la région de la Podkamennaïa Toungousska. Ils devaient atterrir immédiatement, mais devant eux se trouvaient des collines et des rivières qu'il fallait franchir. UNE TRAINEE DE FEU d'une ampleur prodigieuse nimbait la masse énorme du météore. Saccageant quatre-vingts millions d'arbres, il fonca sur la Taiga sibérienne. Redressant un peu le vol de leur navire,ils mirent alors en marche les moteurs, ce qui provoqua la chute des arbres qu'ils survolaient, Ceux-ci, sous l'effet des gaz s'échappant avec une force inouïe des tuyères, furent brisés, déracinés et couchés dans la direction du jet des gaz, c'est-à-dire dans le sens contraire à la marche du navire. Mais les dévastations produites par le souffle des moteurs ne furent pas partout les mêmes. Avec la perte de vitesse, le navire avait perdu aussi sa stabilité et chan- geait continuellement la position de axe. C'est pourquoi, au lieu de produire dans la fcrêt une énorme allée continue d'arbres abattus, le jet des gaz y traça des vides, disposés d'une façon désordonnée. Tous les arbres ne furent pas brülés ou calcinés mais certains seulement dénudés de leurs branches, puisque le navire volait encore à ce moment, à une hauteur relati- vement grande, ce qui fit que les jets des gaz et de feu ne parvenaient jusqu'aux ar- bres qu'après avoir été sensiblement refroidis par l'atmosphère. Mais, lorsque le navire eut franchi les collines et les rivières, et que la hauteur de son vol se trouva diminuée, l'haleine brûlante des gaz paracheva son œuvre de destruction en les calcinant sur le champ. Le même phénomène se produisit également au mcment suprême où, dressé verti- calement, son empennage dirigé vers la terre, le navire cosmique, après avoir cher- che vainement à freiner sa chute en faisant marcher ses moteurs, s'abattit dans la fo- rét. Les flammes de ses réacteurs brûlèrent les têtes de tous les arbres avoisinants, en les laissant debout. De même s'explique l'étrange éventail d'arbres abattus et à moitié brûlés, trouvés tout autour du point de chute de l'engin. «Juste avant que l'engin vienne s'écraser sur la terre, les restes de combustible ont dù certainement exploser et pulvériser le navire en fauchant tous les arbres environ- nants, affirme le professur Liapounov. Cette explosion explique l'étrange clarté qui illumina durant plusieurs jours le ciel de l'Europe et de l'Asie, Celle-ci était due aux produits résultant de la déflagration du combustible et de la matière pulvérisée du navire qui montèrent dans les hautes cou- ches de l'atmosphère et furent la cause de superbes aurores et de nuages brillants. «Nous ne savons pas de quelle matière avait été construit le navire cosmique, poursuit le professeur, mais nous pouvons supposer qu'il s'agissait d'un alliage de mé- taux non magnétiques, par exemple d'aluminium ou de magnésium. Voilà pourquoi toutes les recherches des débris du navire faites à l'aide de détecteurs électro-magné- tiques n'ont jamais donné de résultats.L'explication est évidemment romanesque. Mais les honorables collègues du professeur n'ont pas trouvé jusqu'ici d'arguments con- vaincants pour la pulvériser. X. VELATHCOURT