TINTIN journal Belge 14e ANNEE 1958 No 16 p27 LE GIDODOVNI ET LES MARTIENS LOIN de moi la pensée de vous désobliger, mais je suis certain que vous feriez tous une trôle de tête si un Martien paraissait brusquement devant vous, à un coin de rue ou au fond d'un bois. C'est que vous ne vous êtes pas préparés à cette éventualité, et que personne n'avait jusqu'ici pensé à vous avertir. Les Martiens arrivent. C'est une nouvelle que je peux vous annoncer parce que je suis un savant. Je peux aussi vous donner d'uti- les conseils, parce que j'ai énormément de relations dans les milieux scientifiques internationaux. Einstein serait de amis s'il était encore vivant. Si von Braun ne me fait jamais part de ses projets, c'est qu'il n'a jamais entendu parler de moi. Tout cela tient à bien peu de choses, comme vous voyez... Mais je fais à d'autres, plus chanceux,j'ai l'honneur de leur accorder les bienfaits de mon amitié, ce qui me permet de vous présenter aujourd'hui un de mes confrères, aussi inconnu que moi, ce qui n'est pas peu dire. Mon ami Trench, loyal sujet de Sa Majesté la reine d'Angleterre, s'occupe princi- palement de la publicité d'un journal d'aviation. C'est son métier. Ce n'est donc pas un savant professionnel, comme moi par exemple. Il n'en a que plus de mérite à mon avis. Au vôtre aussi bien sûr. Il est d'autre part directeur du GIDODOVNI. Qu'est-ce ? C'est tout simplement le GROUPE INTERNATIONAL DES OBSERVATEURS D'OBJETS VOLANTS NON IDENTIFIES. La raison sociale de cette société est un tantinet longuette, alors je l'ai réduite à sa plus simple expression. La mode est aux initiales. Il est d'ailleurs heureux qu'elle ne soit pas aux terminales (le contraire d'initiales pour les non-initiés), car cela donnerait ELSSSSNS, ce qui est très difficile à pro- noncer. Trêve de billevesées. Jusqu'ici, personne n'avait pensé sérieusement à recenser les gens qui croient aux soucoupes volantes. Mon ami Trench (je l'appelle mon ami,mais je ne le connais pas, malheureuse- ment... Un fossé nous sépare (1), mon ami Trench, disais-je, a réussi à en trouver deux mille quarante-huit. Cette véritable armée (environ 120,047 fois celle du Liechtenstein) aura un cer- tain nombre de missions qui sont dans l'ensemble assez précises quoique relative- ment vagues. (1) On pourrait penser qu'Arthur Faucheton fait allusion à la Manche. Il n'en est rien. C'est un jeu de mots. Trench veut dire fossé en anglais. (N.D.L.R.) L'objectif général est celui-ci: contacter les « étres des espaces interplanétaires ». Bon. Mais comment ? De plusieurs façons : en pensant intensément et avec amitié à ceux qui hantent le ciel (les joindre par télépathie); en surveillant attentivement toutes les lumières insolites qui peuvent appa- raître dans le ciel (à l'exception des étoiles et des planètes. Inutile de les regarder, il y a des gens qui sont là pour ça); en écoutant les chaines de T.V. pour capter les ondes inhabituelles et les bruits étranges. Les uns et les autres peuvent venir de l'espace. Voilà. C'est tout. Ou presque tout. J'allais oublier deux détails importants. D'abord, les observateurs qui parviendront à contacter des Martiens et à les inviter à descendre sur terre devront éviter de leur réserver un accueil délirant. « Les Martiens, dit l'honorable Trench, préfèrent atterrir dans des lieux où leur seront épargnées les démonstrations enthousiastes de la foule. Pas question de recevoir les Martiens comme Lindberg, évidemment. Du moins la première fois. Après tout, ils sont peut-être timides, ces gens... ». Les Gidodovnis ont reçu l'ordre de se grouper par petits comités de réception de trois ou six personnes, pas plus. Ensuite, plusieurs observateurs ont posé la question suivante : « Quelle attitude adopter à l'égard de visiteurs éventuels ? Froide, assez froide, ou très froide ? ». « Vous n'y êtes pas du tout, a répondu mon ami Trench. Il faut au contraire vous mon- trer extrêmement aimables et voir venir »>. Sans vouloir offenser mon ami, je pense que, dans l'ordre chronologique, les obser vateurs devront voir venir d'abord et semontrer aimables ensuite (2). Trêve de billevesées. Il était bon que vous soyez au courant de l'imminence de l'arrivée des Martiens sur notre planète. Il fallait aussi que vous sachiez quelle attitude adopter. Vous le savez maintenant. A bientôt. Bien amicalement. par ARTHUR FAUCHETON P