PARIS MATCH n°475 17 mai 1958 DÉFI A LA PESANTEUR ● Pr Allais : Newton s'est trompé. Ses arguments: un pendule, une éclipse, 220000 observations Quelque part à Saint-Germain-en-Lay dans un sous- sol de 9 metres de long sur 6 de large, deux hommes et une jeune femme s'afferent autour d'un appareil étrange en métal, tout brillant, retenu par une vulgaire ficelle Soixante-douzefois dans l. nee, toutes les vingt minute crtement, un des trois opérateurs approche son Cet étrange appareil n'est autre qu un pendule perfectionne. avec lequel le professeur Maurice Allais veut ébranler la théorie apparemment la moins ébranlable de la physique moderne : celle de la gravitation universelle que Newton avait établie depuis deux siècles. sous un pommier. L'expérience que Maurice Al- lais 47 ans, cheveux en brosse,grosses lunettes est en train de refaire est celle de Foucault. En 1851, à l'aide d'un pendule cons- titué par une sphère de 90 kilos et un fil d'acier de 17 mètres ac- croché sous le dóme du Panthéon,Henri Foucault démontrait que le plan d'oscillation de ce pendule faisait comme la Terre un tour complet sur lui-même en vingt quatre heures. Mais le pendule d'Allais est beaucoup plus précis. La bille d'acier spécial à laquelle il est suspendu est changee toutes les vingt minutes et la plaque de carbure de tungstène sur laquelle elle roule (prix 20 000 francs) toutes les semaines. Or. grâce à cette orécision, il apparait que si le plan d'oscillation du pendule tourne, ce n'est pas du tout régulièrement comme il devrait le faire d'après la théorie de Newton, et comme on croyait qu'il le faisait depuis l'expérience de Foucault. Dès lors toute la théorie de la gravitation universelle, tout ce qu'on croyait savoir de la pesanteur qui n'en est qu'un cas particulier est à reviser. Le plus étonnant, c'est que le professeur Allais, qui deux siècles après, dit non à Newton, n'est pas lui-même un physicien. Ordre, méthode, étiquettes. Partout, jusque dans les cou- loirs, des rayons croulant sous les livres. Tous les meubles sont transformés en classeurs et ne suffisent jamais. Dans l'appartement de Maurice Allais, au troisième étage d'un immeuble moderne à Saint-Cloud, il manque toujours un classeur. En attendant, de vulgaires caisses y suppléent. Defense à la bonne d'y toucher. Or, dans ces caisses et ces meubles bourrés de fiches, c'est l'économie politique que le maitre des lieux a mise en formules. Pas la physique. Pupille de la nation, ancien élève de Lakanal, major de Polytechnique. le nouveau Newton a quasiment refusé de s'intéresser à la physi- que pendant douze ans à la suite d'une révélation qu'il a ente à vingt-deux ans en Amérique. Il y avait alors 12 millions de chômeurs aux U.S.A. Les grandes usines étaient vides et silencieuses. Le spectacle de la misere, non seulement toucha le coeur du polytech- nicien frais émoulu, elle choqua son esprit. Comment pouvait-il y avoir tant de pauvreté au pays de la richesse? L'ingénieur Allais résolut de se consacrer à une nonvelle science, celle du bien-être. Et c'est ce qu'il a fait. Professeur d'économie générale à l'Ecole des mines depuis 1944, son métier est aujourd'hui encore de mettre le bien-être en formules. Seulement il a des loisirs: ski, avion, stade, visites à la vieille maman qui tient toujours un magasin de layette dans le 19 arrondissement, et expériences de physique. Et c'est ainsi qu'au printemps 1953, Allais téléphonait à un industriel de ses amis : Pourriez-vous me prêter un sous-sol qui puisse servir de labo- ratoire? - D'accord. Qu'est-ce que vous voulez en faire? Je voudrais réaliser une expérience qui mette en évidence la jonction de l'électromagnétisme et de la gravitation. C'est passion- nant, vous savez. Einstein ne s'en est pas sorti. Des milliers de fois la ficelle a brûlé. 220 000 observations ont été enregistrées. L'irrégularité de la course du pendule est main- tenant indiscutable, encore qu'il reste à l'expliquer. Le 30 juin 1954. une éclipse totale de soleil se produit. Allais, qui attendait ce moment, est à son poste dans la cave du pendule. Or, brusquement, au moment précis où le soleil disparait derrière la lune, le plan de rotation de la tige de bronze saute de 13º. Allais a un sourire triom- phant. Il suffit, dit-il, que la Lune fasse écran entre le Soleil et la Terre pour que la théorie classique de la pesanteur soit prise en défaut. » Puis, sur ces paroles mysterieuses, il se tait. Il est clair qu'il a une théorie nouvelle à opposer à Newton. Mais il ne peut pas la révéler. Pendant quatre ans il craint de heurter de front la science officielle. Mais il craint plus encore qu'un autre savant ne refasse sa découverte et ne s'en attribue la gloire. Enfin, il se dé- cide depuis octobre dernier il a commencé à envoyer à l'Académie des sciences une série de mémoires. Il était temps. Déjà il y a plus de trente ans, un Anglais avait parlé d'une substance mystérieuse, la «cavorite », qu'il suffisait d'in- terposer entre le sol et un objet pour que cet objet fut libéré de la pesanteur. Cet Anglais. c'est Wells, l'auteur de l'Homme invisible et de la Guerre des mondes. Wells et sa science fiction n'étaient pas tellement en avance. A peine Allais a-t-il publié les résultats de ces découvertes que de toutes parts convergent les confirmations. En Autriche, des expériences tendant aux mêmes conclusions ont été réalisées: en Allemagne, Burkhardt Heim, le savant sourd, aveugle, amputé des deux mains,et qui n'est plus qu'un cerveau. affirme qu'on peut créer une antigravitation et obliger la fameuse pomme de Newton à « tomber » vers le ciel: en Russie, Kapitza, père de la bombe H soviétique,essaie de démontrer qu'un objet refroidi jusqu'à 273 (zéro absolu) ne pèse plus rien à Perpignan, le docteur Pagès réclame 10 millions pour réaliser l'antigravitation et fabriquer une soucoupe volante. La légende du fakir au tapis volant, que Maurice Allais est en train de réécrire en signes algébriques, sera bientôt réalité.