M AGIE, fakirisme, ces mots eux-mêmes parais- sent avoir un étrange pouvoir. Il suffit de les écraser en caractères gras sur une affiche pour qu'aussitôt la foule s'approche et s'efforce de percer un mystère qui n'est généra- lement qu'une heureuse conjonction du truquage et de l'habileté. Ainsi en va-t-il du Festival International 1954 de la Magie qui se tient ces jours-ci à Paris, au Théâ- tre de l'Etoile. Le spectacle commence sur l'asphalte de l'ave- nue de Wagram où le fakir Yama Kévadi hypnotise les passants de bonne volonté. Simples hors-d'oeu- vre. Un peu plus tard, Kévadi hypnotise un lapin, et même plusieurs spectateurs. Autre fakir, Karmah ne se contente pas de ces exercices classiques qui consistent à se coucher sur la planche à clous ou sur des lames de faux, à grimper à l'échelle de sabres, ou encore à se transpercer la gorge avec des aiguilles longues comme ça. Tout cela n'impressionne plus grand-monde et, à la générale, un jeune homme grand et maigre, tout de noir vêtu, est grimpé sur la scène pour annoncer au public qu'il était prêt à en faire autant. Fakirs, fumistes et compagnie 1, s'excla- ma-t-il. Karmah, qu'un match mémorable opposa au fakir Tahra Bey sous l'arbitrage de l'écrivain Paul Heuzé, il y a de cela quelque vingt ans, ne s'en montra pas autrement ému. Après avoir endormi une poule sans lui mettre la tête sous l'aile, il se fit apporter une cassolette pleine de plomb fondu dont il se versa une pleine louche sur la main. Des témoins, qui n'étaient pas des compères, fu- rent invités à constater qu'il s'agissait vraiment de plomb et à humer l'odeur de peau brûlée qu'exha- lait une main absolument indemne. Sportivement, le jeune homme en noir applaudit ce tour réussi tandis que Karmah se retirait en coulisses en re- muant son plomb fondu. « Je vais continuer à faire cuire ma soupe, j'ai l'habitude, je suis hôtelier à Bordeaux ». Après ce Bordelais, un Américain: James Gros- sini, se fait cadenasser, menotter, ligoter, ficeler. Deux spectateurs le glissent dans cet état dans un sac d'abord, dans une malle ensuite que l'on ferme avec force précautions. Trois minutes après, on entend un grand cri dans le fond de la salle : cet émule d'Houdini est arrivé à se dégager de ses entraves on ne sait trop comment. Houdini compliquait la situation et se faisait met- tre en cercueil avant qu'on le jette dans l'Hudson. Crossini rêve de se faire suspendre par les pieds à la Tour Eiffel et de se libérer, comme il le fait chaque soir, ces jours-ci, devant deux mille per- sonnes, d'une camisole de force, d'une chaîne et d'une paire de menottes. Carthy, un Canadien, présente, lui, un numéro d'automates d'une parfaite réussite. --Les Sambalo, qui sont Allemands, vous font péné- trer dans le-fantastique. Dans un décor noir et rouge, des meubles apparaissent, se déplacent, dis- paraissent. Un squelette arrive morceau par mor- ceau, se met à danser un boogie-woogie effréné et s'en va comme il est venu. Cette danse macabre et fantomatique est étourdissante. Mais ce festival n'est pas seulement international. Il pourrait être interplanétaire : on y voit le pre- mier Martien: Al Scott, au rayon fantastique qui joue avec la lumière, allume des lampes à distance, s'amuse à transvaser la lumière d'une lampe à l'autre, en approchant plus ou moins les mains, et qui, enfin, fait disparaître sa femme dans son fameux atomisor ». Magicien du futur, Al Scott a reçu, pour son numé- ro, le premier prix hors concours international du Congrès des Illusionnistes. Vêtu d'un pourpoint et d'un haut-de-chausses rouge, les pieds enserrés dans des bottes dorées, les épaules couvertes d'un ample manteau pailleté, ce Martien au visage vert surmonté d'un casque héris- sé d'antennes étincelantes, ce personnage étrange qui fait jaillir le feu sous ses doigts est tout simple- ment Boulonnais. Il s'appelle M. Boslaud et est né au 3 de la rue Ampère à Boulogne-sur-Mer, Son père était fabricant de filets de pêche. Il est le neveu d'un pêcheur qui, en 1921, fit dans le port un sauvetage dont tout Boulogne a gardé le sou- venir. Sa femme, qu'il désintègre tous les soirs, est Lilloise. Elle porte un nom bien de chez nous, comme dirait Jean Nohain: Jacquet. Sa grand-mère, Madame Grolez, habite toujours la capitale des Flandres. REPORTAGE DE LUCIEN PLUVINAGE UN MARTIEN (BOULONNAIS) Le « Martien » Al Scott fait jaillir une flamme de sa main droite. Le fakir Karmah ne craint pas d'arroser la paume de sa main de plomb fondu.