CIGARE VOLANT (suite) Les bureaux d'études où l'on fignole les diverses versions du cigare volant s'abritent discrètement dans les communs d'un château isolé en forêt. Les portes fermées, ceci n'est plus qu'une écurie banale... ELUI qui nous tenait ces propos l'autre jour, est l'ingénieur général Michel Decker, qui a été choisi comme chef de la section d'engins spéciaux de notre avia- tion: la branche qui se situe à l'avant- garde de la technique, celle où l'on étudie dans le secret le plus total les engins de l'avenir. CE C'était l'occasion inespérée de lui poser cette question : < Parmi ces chercheurs qui travaillent dans l'ex- traordinaire, rangez-vous le comte de Zborowski? » L'ingénieur-chef des engins spéciaux eut un air d'étonnement poli: « A quels travaux faites-vous allusion? > Bravement, nous abattons notre jeu : « A ses appareils à voilure annulaire, décollant et atterris- sant à la verticale!» Et nous lui tendons une liasse de bleus sur lesquels se dessinent d'étranges fuseaux sans ailes. Cette fois, la surprise de l'ingénieur n'est pas feinte ::. « Il a consenti à vous faire des confidences! Et d'abord, comment diable avez-vous réussi à dénicher sa retraite?... > Toute l'histoire a commencé voilà six semaines lorsque M. Duncan Sandys, ministre de l'Armement britannique, fit à la presse une déclaration fracas- sante « Je suis en mesure d'annoncer que nous avons construit un avion sans ailes qui décolle et atterrit verticalement... > Quelques jours plus tard, un coin du voile était soulevé, et la maison Rolls- Royce était autorisée à communiquer une photo de la « chose»: un bâti métallique sommaire, empri- sonnant deux réacteurs. La poussée des gaz, dirigée vers le sol, soulevait à la verticale ce lit-cage volant. Les techniciens épiloguèrent gravement : une ère nouvelle s'ouvrait dans la conquête de l'espace. Mais la construction française se piqua au vif. La S.N.E.C.M.A., l'une de nos sociétés les plus impor- tantes, tint à souligner qu'elle aussi étudiait le décol- lage à la verticale. Pour preuve, elle livra comme à regret la photo d'une sorte de flûte volante composée essentiellement d'un réacteur posé sur la queue. L'admiration fit bientôt place à la perplexité : où donc, d'après ce document et des explications volon- tairement très vagues, où donc placer le pilote? Allongé contre le tube brûlant? A cheval sur l'entrée de la tuyère ? C'était absurde, et l'on percevait mal l'intérêt d'un assemblage aussi étrange. Le béton étouffe l'avion Mais tandis que les spécialistes se passionnaient et que s'amorçaient des polémiques, le public, tout en reconnaissant l'étrangeté de ces engins nouveaux, se demandait : « Depuis que les avions existent, on s'accommode fort bien qu'ils décollent et se posent par un vol oblique. Pourquoi veut-on balayer un demi-siècle d'expérience pour s'embarquer dans le domaine de l'inconnu? > Pourquoi? Parce que, à mesure que les avions se perfectionnent, qu'ils vont plus haut, plus vite et plus loin, ils deviennent de plus en plus étroitement tri- butaires du sol. Pendant la guerre de 1914-18, un chasseur ou un bombardier se posait dans un champ. Plus tard, il fallut réquisitionner pour aérodromes de vastes plaines soigneusement tassées au rouleau compresseur. Aujourd'hui, un chasseur Mystère IV est comme un camion de dix tonnes qu'on lancerait d'un tremplin à 300 kilomètres à l'heure : il lui faut 2.400 mètres d'une solide route bétonnée pour s'ar- rêter. Un avion transatlantique, avec ses trente ton- } La formule militaire du "cigare" est nes, a besoin de trois kilomètres pour freiner. Quant aux grands bombardiers stratégiques, lourds comme un chalutier ou un aviso (le B 52 pèse 170.000 kilos), ils exigent pour se poser ou pour prendre leur élan des lacs bétonnés de 1.600 hectares! Inutile de préciser que des installations d'une telle ampleur sont ruineuses et qu'elles feraient, en cas de conflit, une cible idéale pour des bombardements explosifs ou atomiques. Pour citer un exemple, les forces du pacte Atlantique en Europe disposent de 80 bases bétonnées. Il suffirait d'une bombe nucléaire bien placée sur chacune d'elles pour que toute la flotte aérienne soit clouée au sol ou incapable d'atterrir. Voilà pourquoi le maréchal Montgomery a déclaré cette semaine devant d'éminents stratèges: «Veut-on des avions ou du béton? Nous usons nos forces et notre argent à construire des pistes qui sont de futures écumoires. Il nous faut des types d'avions qu'on puisse disperser sur des terrains improvisés. Et l'appareil idéal pour ce que nous cherchons devrait pouvoir partir et se poser à la verticale, sans avoir la lenteur et la fragilité de l'hélicoptère... > C'est cette préoccupation de tous les états-majors du monde qui vient de donner un tel prestige aux rudimentaires bâtis de Rolls-Royce et de la S.N.E. C.M.A., encore très loin, il faut l'avouer, de l'avion idéal. J'ai choisi la France «L'avion idéal, nous dit le comte de Zborowski, je l'ai baptisé Coléoptère, et il ressemble à un cigare volant... > Comment nous avons découvert sa propriété jalousement gardée, comment nous avons obtenu d'être reçus par cet ingénieur qui, depuis dix ans, n'a jamais rien communiqué sur ses travaux à la presse, c'est une autre histoire. Dans une province française, un grand parc clos de murs où les arbres poussent librement depuis des siècles. Une allée de platanes géants mène à une gentilhommière qui fut un rendez-vous de chasse royal. Et voici, s'avançant à notre rencontre, un groupe d'hommes souriants qui discutent avec non- chalance le savant et ses principaux ingénieurs. Le mystère s'arrête aux grilles. A partir de main- tenant, nous ne rencontrons que des visages ouverts Ce plan-coupe montre pour RÉSERVOIR DE KEROZÈNE Pour la première fois, M. de Zborowski donne des précisions sur ses résultats. Il a déplié ses « bleus >> pour notre collaborateur scientifique J.-C. Soum et notre rédacteur en chef-adjoint Constantin Brive. et l'on répond sans détour à nos questions... sauf lors- qu'elles abordent un point relevant strictement des secrets de la défense nationale. Qu'on nous comprenne bien nous ne brodons pas un roman noir, et il ne s'agit pas de secrets d'opérettes. L'atterrissage à la verticale est plus complexe encore que le décollage. L'appareil vole hori- zontal, se cabre peu à peu en perdant de la vitesse. En réduisant progressivement les gaz, il reprend de la pesanteur et se pose « comme une tasse sur une soucoupe ». Notre plan- coupe montre l'intercepteur avec pilote allongé dans le nez (il existe une version téléguidée grâce à un œil de télévision). Nous n'avons pas fait figurer l'armement ultra-secret. Zborowski, in nu du public, est considéré depuis vingt ans comme un cerveau fécond par les grands techniciens de l'aviation mondiale. Le général de corps d'armée Bergeron, qui dirige la branche scien- tifique de notre Défense nationale, le juge comme un des atouts de cette défense. L'ingénieur-chef Decker, qui s'est montré si surpris que nous ayons été reçus par lui, nous a déclaré : « Ses travaux ne relèvent nullement de l'utopie. Son apport, extrêmement solide et brillant, va révolutionner l'aviation... > Cet homme, qui avait prouvé sa maîtrise dès avant BADIN (INDICATEUR DE VITESSE) pour la première fois les CABINE LARGUABLE PILOTE ALLONGÉ AILE ANNULAIRE ENTRETOISE DE SOUTIEN DE L'AILE ANNULAIRE "TRAIN" TÉLESCOPIQUE