Des signes dans le ciel 6 Jounal de велеше продл anil 1982 Il est à la fois choquant et troublant, le pèlerinage manqué qui, ces derniers temps, a attiré dans un hameau de la Loire, la Talaudière, des milliers de per- sonnes. Elles attendaient, comme la peti- te Blandine Piégay, une apparition de la Vierge. Elle n'est pas venue. Paralytiques et malades s'en sont retournés, bredouil- les. Le cas est choquant parce que, cré- dules autant que croyants, les gogos sont ici pour beaucoup des infirmes à qui un filet d'espoir était donné. Mais il est aus- si troublant de constater que, dans une société qui se veut rationnelle comme la nôtre, la soif du surnaturel, de l'inexpli- qué et de l'inexplicable, tenaille pareille- ment les êtres. Interpellée, l'Eglise est placée dans une situation évidemment embarrassan- te: d'une part, elle ne se veut pas dupe du charlatanisme, frère jumeau de la cré- dulité. Elle n'ignore pas, dans ce cas comme dans des centaines d'autres, que les visionnaires sont très souvent des névropathes: «Il y a cinquante ans, disait dans un colloque l'abbé Oraison, on voyait beaucoup la Sainte Vierge; aujourd'hui, on voit plutôt des soucou- pes volantes.» Sans partager toujours une vision aussi crue des choses, l'Eglise n'en opte pas moins pour une très gran- de réserve. l'Evangile lui-même est bourré de phé- nomènes surnaturels, où les guérisons jouent une rôle si important? Il lui a fallu donc départager, entre les « vraies» et les «fausses» apparitions, entre les < pèlerina- ges, portant son choix sur ceux-là seuls où le message chrétien n'est pas camou- flé, miracles ou pas. Ce fut la cas de Lourdes. Ce ne le sera certainement pas à la Talaudière, où prédomine le carac- tère sociologique du phénomène et où les «messages » transmis par la jeune Blan- dine n'ont pas grand chose à voir avec la Bonne Nouvelle. Là comme dans d'au- tres cas, l'Eglise aura à rappeler que des signes dans le ciel ne sont pas toujours des signes du Ciel. Demeurent deux choses: en premier, l'histoire nous montre qu'une certaine soif du surnaturel est le contrepoids naturel, dans la piété populaire, de la pratique et de la théologie traditionnel- les. Comment s'étonner que, chez les protestants, autant que chez les catholi- ques, des vagues charismatiques suivent fréquemment des périodes où prédomine une prédication rationnelle? Tel le Ré- veil à l'aube du XIXe siècle, ou la renais- isance charismatique qui a secoué les Eglises romandes ces dernières années. En second lieu et surtout, vision de la Vierge et de saint Michel, messages menaçants et catastrophiques, rêves, éveillés ou non, de soucoupes et d'OVNÍ révèlent chez ces hommes et ces femmes une colossale angoisse. Angoisse vieille- comme le monde: des soucoupes, nous rappelle Carl Jung, on en a vu dans la Bâle du XVIe siècle. Ces visions ne sont, D'autre part, elle ne peut ignorer sim- bien souvent, que la projection de nos plement un phénomène qui, certes, pro- désirs inconscients et collectifs: besoin cède du pathologique, et où la frontière de colmater une inadaptation au monde, entre folie et mysticisme reste floue. désir de se rassurer dans un environne- Mais dont elle sait aussi qu'il s'agit d'un ment où les événements seraient plutôt phénomène religieux: il y a du religieux, là pour nous menacer. Blandine, et les dans le mouvement qui, à la Talaudière, pèlerins qui, un temps, l'ont suivie, ne attire des êtres comme des papillons vivent-ils pas, dans le drame et la folie, autour d'une flamme. Comment, de sur-les inquiétudes qui sont les nôtres? croît, pourrait-elle l'ignorer quand Antoine Bosshard